« Le Maroc, Israël et les Juifs marocains», le livre pour mieux comprendre l’accord avec IsraëL
Le 10 décembre 2020, un tweet de Donald Trump surprend le monde, et les Marocains en particulier : Les Etats-Unis reconnaissent, enfin, la pleine et entière souveraineté du Maroc sur son Sahara et, en même temps, le rétablissement de relations normales et officielles entre le royaume et l’Etat hébreu. Jamal Amiar revient sur la genèse et les causes profondes de cet Accord tripartite, un acte diplomatique majeur qui puise ses racines dans l’histoire juive du Maroc moderne (et même ancien).
Une histoire narrée par l’auteur, journaliste formé aux Etats-Unis, qui a pu côtoyer les personnages-clé de cette histoire qui commence dans les années 50 du siècle dernier, mais qui remonte sur les deux derniers millénaires de présence juive au Maroc. Après la Deuxième Guerre mondiale, la création de l’Etat d’Israël et la montée du panarabisme ont bousculé l’existence de la très forte communauté juive au Maroc, avec l’aliyah, ce mouvement de retour (ou de départ vers le nouvel Etat hébreu).
Dans son livre, Jamal Amiar décrit avec précision et force détails la profondeur de l’ancrage des Juifs au Maroc, puis revient sur les causes et les conditions de leur départ en Israël, et celles de leur installation. Créant une communauté numériquement importante, sociologiquement forte et confessionnellement puissante, « les Marocains juifs », ou « les Juifs Marocains », sont marginalisés, ostracisés, voire même méprisés à leur arrivée (ils étaient désignés par « Marokai sikine », le couteau marocain, en raison de la délinquance de leurs jeunes) mais contribuent progressivement au « fort rééquilibrage démographique d’Israël ». Quelques décennies plus tard, ajoute l’auteur, la prophétie du romancier Amos Oz se confirme : « L’espoir d’Israël, ce sont les Marocains », et les Marocains se situent significativement du côté droit du spectre politique israélien.
Cette idée se précise avec Benjamin Netanyahou : « Le Maroc, c’est différent ! », avec Yitzhak Rabin : « Israël a beaucoup d’amis dans le monde, mais l’amitié du Maroc est différente » ou encore avec le diplomate natif du Maroc Yehuda Lancry : « Nous avons quitté le Maroc, mais le Maroc ne nous a pas quittés ».
Le livre nous apprend également l’usage diplomatique que fait Hassan II dans les années 60 et 70 de l’aliyah de « ses » Marocains qui se sont toujours considéré comme Israéliens et Marocains. Des contacts intenses, une diplomatie des coulisses admirablement narrée par Jamal Amiar qui explique comment de cette communauté enfin reconnue est née une véritable diplomatie de la médiation dans le conflit israélo-palestinien. Camp David, ce sont les Israéliens marocains en coulisses, la conférence de Madrid, ce sont encore eux à la manœuvre, dans les contacts Israël/Palestine/Etats-Unis, les Israéliens marocains sont toujours là… aucune grande avancée diplomatique sur la scène moyen-orientale ne s’est produite sans trouver derrière des représentants de cette communauté. On trouve l’origine et les racines de cette omniprésence dans, entre autres, « l’autorité de l’école talmudique » marocaine et aussi dans ce qu’Amiar appelle « la fiabilité de Rabat, aux yeux de Tel Aviv, tant dans les domaines diplomatiques que sécuritaires, politiques que militaires ».
Puis arrive Donald Trump et son gendre et très influent conseiller diplomatique Jared Kushner. Avec eux, s’articule une relation mettant en relief le sens et la vision stratégiques de Mohammed VI et le talent diplomatique de Nasser Bourita. Les Américains voulaient absolument accélérer le processus de paix au Moyen-Orient et les Marocains y ont vu une fenêtre idéale pour faire avancer la question du Sahara. S’ensuit, détaille Jamal Amiar, une diplomatie à plusieurs bandes, arabe golfique, américaine, israélo-palestinienne et marocaine. On sera surpris par les révélations apportées dans le livre sur le rôle joué par Rabat dans les Accords d’Abraham !
Et au lendemain de ces Accords, l’auteur explique la bascule géopolitique opérée dans les rapports de force mondiaux, où la rivalité entre Washington et Moscou reproduit celle du Moyen-Orient entre Tel Aviv et Téhéran et se prolonge au Maghreb entre le Maroc et l’Algérie. On apprendra également bien des informations sur ce projet de défense baptisé MEAD (Middle-East Air Defence) qui s’étend et s’étire des Emirats Arabes Unis au Maroc, et qui change la donne géostratégique au nord de l’Afrique et au sud de l’Europe, où les Russes s’installent progressivement.
« Le Maroc, Israël et les Juifs marocains », est un ouvrage très riche en informations, faits et effets sur les relations entre Tel Aviv et Rabat, sur les relations plus fortes qu’on ne peut les imaginer entre Marocains musulmans et Marocains juifs et sur la force de la présence diplomatique marocaine dans cette région du monde, facilitée et renforcée par la puissance des liens qui ne se sont jamais distendu entre les Marocains des deux confessions.
Aziz Boucetta
« Le Maroc, Israël et les Juifs marocains », Jamal Amiar, Bibliomonde Editions, 17,50 €
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