
Vers la fin de l’hégémonie du dollar ? Le défi lancé par les BRICS au cœur du Rio Reset
La confrontation économique entre les États-Unis et le groupe BRICS atteint un point de rupture. À l’occasion du sommet tenu à Rio de Janeiro les 6 et 7 juillet 2025, les membres du bloc – désormais élargi à dix nouveaux pays, dont l’Égypte, l’Iran, l’Éthiopie et les Émirats arabes unis – ont dévoilé une stratégie ambitieuse baptisée « Rio Reset ». Cette initiative constitue une offensive coordonnée contre la domination du dollar américain sur l’économie mondiale et marque une tentative inédite de refondation du système monétaire international.
Ce changement d’orientation s’inscrit dans un contexte de tension croissante, accentuée par les menaces du président Donald Trump d’imposer des droits de douane de 100 % aux membres de l’alliance. La réponse des BRICS ne s’est pas fait attendre. Elle s’appuie sur quatre leviers fondamentaux destinés à désarticuler la centralité du dollar dans les échanges mondiaux et à construire un espace économique alternatif.
Le premier levier repose sur l’abandon du dollar dans les transactions commerciales internes. Les États membres ont décidé de recourir à leurs monnaies locales pour leurs échanges bilatéraux. Ainsi, l’Égypte pourra régler ses importations de pétrole russe en livre égyptienne ou en rouble, tandis que l’Inde paiera ses achats à la Chine en roupie ou en yuan. Ce mécanisme a pour effet direct de réduire la dépendance structurelle au dollar dans les échanges Sud-Sud et de favoriser une souveraineté monétaire élargie.
La deuxième mesure concerne la création d’un dispositif numérique commun de règlement : le BRICS Pay. Ce système repose sur l’interconnexion des monnaies numériques souveraines, telles que le yuan numérique ou le rouble digital, permettant aux États membres d’effectuer leurs paiements sans passer par les circuits dominés par le dollar. L’objectif affiché est de diminuer de 30 % l’usage du billet vert dans les transactions inter-étatiques d’ici 2027. Cette innovation technologique renforce l’autonomie du bloc tout en modernisant ses instruments de compensation.
Troisièmement, les BRICS s’appuient sur la montée en puissance du New Development Bank (NDB), qui se positionne désormais en alternative sérieuse au FMI et à la Banque mondiale. En proposant des financements libellés en monnaies locales, à des taux préférentiels et sans conditionnalités politiques, cette institution offre aux pays du Sud une voie d’accès au développement affranchie des tutelles occidentales. L’Égypte figure d’ailleurs parmi les premiers pays candidats à son élargissement.
Enfin, le bloc a annoncé le lancement d’un système indépendant de transfert d’argent, conçu pour remplacer le réseau SWIFT dans les échanges entre ses membres. Cette plateforme vise à neutraliser les sanctions américaines et à briser le monopole occidental sur les infrastructures financières mondiales. Elle permettra aux pays comme l’Iran ou la Russie de poursuivre leurs échanges sans craindre un isolement économique imposé par Washington.
L’impact le plus spectaculaire de cette stratégie réside toutefois dans la décision de convertir les dettes inter-étatiques en monnaies locales. À titre d’exemple, le prêt de 25 milliards de dollars accordé par la Russie à l’Égypte pour la construction de la centrale nucléaire d’al-Dabaa ne sera plus remboursé en dollars, mais exclusivement en roubles. Cette disposition, en apparence technique, est en réalité un coup porté au cœur de la puissance du dollar : son rôle comme référence incontournable pour les remboursements internationaux.
L’ensemble de ces mesures intervient dans un contexte de fragilité croissante du dollar. En l’an 2000, il représentait 71,5 % des réserves de change mondiales. En 2024, cette part est tombée à 58,4 %. Si la dynamique actuelle se poursuit, les projections annoncent une chute vers les 40 % à l’horizon 2030. Ce déclin n’est pas seulement le résultat de l’activisme des BRICS. Il s’explique aussi par les politiques économiques agressives menées par les États-Unis, en particulier les décisions erratiques de Donald Trump, la perte de confiance progressive dans la dette américaine, et la montée en puissance démographique et économique du Sud global, incarné par un BRICS élargi représentant désormais près de la moitié de la population mondiale.
Les répercussions de cette réorientation stratégique seront considérables. Pour les États-Unis, on peut s’attendre à une pression accrue sur le marché obligataire, à une inflation alimentée par la création monétaire, et à une perte d’influence dans la définition des normes financières internationales. Pour les pays membres des BRICS, cette transition promet une plus grande stabilité des monnaies locales, un accès plus souple au crédit, et une libération partielle des injonctions néolibérales imposées depuis des décennies par le FMI.
Au-delà des intérêts immédiats, le Rio Reset reflète une ambition politique plus large : celle d’un monde décolonisé financièrement, où les règles du jeu ne seraient plus écrites exclusivement par Washington. Ce que les BRICS proposent n’est pas un rejet du système, mais sa transformation. Ils ne demandent pas la fin du capitalisme global, mais sa rééquilibration autour de principes multipolaires, fondés sur la coopération, la souveraineté et l’inclusion.
Le sommet de Rio marque ainsi une rupture symbolique et fonctionnelle. Il annonce la fin d’une ère où le dollar régnait sans partage, et l’ouverture d’une séquence nouvelle, dans laquelle les nations émergentes entendent reprendre la main sur leur destinée économique. L’histoire nous dira si cette ambition se traduira en réalité structurelle. Mais une chose est certaine : l’hégémonie monétaire américaine n’est plus incontestée.
Le monde assiste à la fin d’un empire monétaire. Et à l’émergence d’un ordre économique plus équitable, plus représentatif et plus ouvert à la diversité des puissances du XXIe siècle.
Par Omar Lamghibchi / Historien
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