Le président turc Erdogan entre folie des grandeurs  et perte de toute retenue

Le président turc Erdogan entre folie des grandeurs  et perte de toute retenue

Il est le nouveau Sultan turc, mais si certains l’appellent le « magnifique », d’autres le qualifient de « maléfique »… Depuis quelques semaines, le président turc Recep Tayyip Erdogan attaque tout le monde, et se fait de plus en plus incisif, bousculant tous les codes de langage diplomatique et malmenant les us diplomatiques les plus élémentaires. Celui dans lequel se reconnaissent tant de populations musulmanes et arabes dépasse les mesures ; au Maroc, il est le second personnage le plus admiré, (loin) derrière Mohammed VI selon un récent sondage britannique.

Dans une Turquie à feu à sang suite aux nombreux attentats qui ont fait plusieurs centaines de morts en moins d’un an, le président turc divise encore plus sa société et ne cache plus ses dérives autoritaires, voire despotiques. On rappelle que l’homme, titulaire de plus de 40 doctorats honoris causa, avait refusé celui que se proposait de lui décerner l’Université Mohammed V de Rabat en 2013, vexé d’avoir été froidement accueilli… Tour  d’horizon.

Avec Moscou. En novembre dernier, un avion chasseur russe avait été abattu alors que, en mission en Syrie, il avait brièvement survolé le territoire turc. Cela avait déclenché une grave crise entre les deux pays, Poutine étant, comme on le sait, aussi sanguin qu’Erdogan.

Réponse de Poutine, avant de refuser de rencontrer son homologue turc en marge de la COP21 de Paris : « Il semble qu’Allah ait décidé de punir la clique au pouvoir en Turquie, en la privant de la raison et du bon sens. (...) Et je parle bien du pouvoir et non du peuple turc, que je sais bon, généreux et travailleur ».

Avec son ancien premier ministre, le populaire Ahmed Davutoglu. Celui-ci avait claqué, début mai, la porte du parti et de la primature, démissionnant des deux. La raison ? Des humiliations répétées du président, qui veut garder la main sur l’AKP (PJD version locale), le gouvernement et, bien évidemment, la présidence. Avant une réunion d'urgence avec Davutoglu mercredi, Erdogan lui a dit sans ambages et publiquement: «  Vous ne devriez pas oublier comment vous avez obtenu votre poste !».

Réponse de Davutoglu : «  Je n'ai jamais négocié, pour un poste ou une position, les valeurs et les principes que j'ai.  Suite à mon propre examen de conscience et aux consultations avec mes amis ayant de l’expérience politique, y compris notre président, je suis arrivé à la conclusion qu’au lieu de changer les collègues, il est préférable de changer le président du parti pour l'unité de l'AKP ».

Avec Bruxelles. Fin mai, et concernant les négociations sur les migrants avec l’Union européenne, il avait estimé que Bruxelles tardait à remplir ses engagements quant à l’annulation des visas Schengen pour les Turcs. Il s’en était pris vertement au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker qui demandait le respect des 72 conditions stipulées dans l’accord entre les deux parties : « Depuis quand dirigez-vous ce pays, qui vous en a donné le droit ? Ceux qui veulent le droit de combattre le terrorisme pour eux-mêmes mais considèrent que c’est un luxe pour autrui, laissez-moi le dire clairement, agissent avec hypocrisie ».

Réponse de l’UE, par la voix de son président. « La Turquie devrait y réfléchir à deux fois avant de remettre en cause l’accord sur les migrants »…

Avec Paris. Dans le climat social tendu en France, les attaques des manifestants contre des policiers et les bavures de ces derniers, Erdogan a souhaité y mettre son grain de sel : « Je condamne la violence exercée par la police française contre les gens qui usent de leur droit de manifester. Les pays d'Europe nous avaient fait remarquer qu'ils étaient inquiets de la situation en Turquie. Eh bien, moi-aussi, je suis préoccupé par ce qui se passe en France ». En 2013, les violentes répressions des manifestations à Istanbul avaient fait 8 morts et plusieurs centaines de blessés…

Avec Berlin. Les députés allemands, impliqués durant la 1ère Guerre mondiale avec leur allié ottoman, se sentent concernés par le génocide arménien (1,5 million de morts) qu’Ankara refuse obstinément de reconnaître. On peut comprendre les deux parties, mais quand les députés allemands ont voté la semaine dernière la reconnaissance de ce génocide, le président turc avait déclaré qu’ « il faut analyser dans un laboratoire le sang des députés allemands d'origine turque qui ont voté en faveur de la reconnaissance du génocide arménien, afin de vérifier leur origine ». Lui, Erdogan, vient de faire voter une loi levant l’immunité des députés en Turquie, pour pouvoir au besoin arrêter les députés kurdes qu’il voit comme des terroristes potentiels.

Réponse de Berlin, exprimée par le président du parlement : « Qu'un président démocratiquement élu puisse, au XXIe siècle, associer ses critiques à l'encontre d'élus démocratiquement élus du Bundestag allemand avec des doutes sur leurs origines turques, décrive leur sang comme corrompu, je n'aurais pas cru ça possible ».

Contre les Etats-Unis, aux obsèques de Muhammad Ali. Vexé de s’être vu refuser de prendre la parole à l'occasion de la cérémonie de ce vendredi 10 juin, le président turc, accompagné notamment de son gendre, Berat Albayrak, qui est ministre de l'Energie, a décidé d'écourter brusquement son séjour qui devait initialement se poursuivre jusqu’au soir. Il voulait également déposer sur le cercueil un morceau de l’étoffe qui recouvre la Kaaba. Les Américains n’ont pas accepté.

Le président Erdogan a pourtant été à l’origine du miracle turc, qui a fait passer son pays en 12 ans de la 75ème position en termes de PIB dans le monde, à la 15ème. Il a en a acquis popularité et respect de sa population, et des dirigeants du monde. Mais ses tendances clairement autoritaires aujourd’hui entachent ce bilan. Dans son pays, et en Europe, « Erdogan le Magnifique » devient de plus en plus « Erdogan le Maléfique », et même au sein de son parti, l’AKP, des voix commencent à s’élever (discrètement) pour demander son départ. Le très large élan de sympathie qu’il avait engrangé en 2009 dans le monde arabe suite à son attaque contre Shimon Pérès, alors président d’Israël, est très sérieusement terni. Malheureusement.

Commentaires