Réactions algériennes désordonnées et fébriles à la rentrée du Maroc dans l’UA africaine

Réactions algériennes désordonnées et fébriles à la rentrée du Maroc dans l’UA africaine

« Sonnés, perdus, conscients que leur stratégie touche à sa fin »… C’est ainsi qu’une source autorisée marocaine nous a décrit en début de semaine et depuis Kigali la réaction des Algériens à l’annonce de la demande d’adhésion du Maroc au sein de l’Union africaine. De fait, ils auront attendu trois jours avant de réagir, faisant monter sur le pont leur Premier ministre, le chef de leur diplomatie et leur ministre des affaires maghrébines et africaines.

Le Premier ministre troublé

Ainsi, Abdelmalek Sellal (photo d'illustration), qui avait reçu la semaine dernière les deux émissaires marocains Nasser Bourita, ministre délégué aux Affaires étrangères, et Yassine Mansouri, chef du renseignement extérieur (DGED), a affirmé aujourd’hui jeudi à Alger que « la demande de l'exclusion de la République sahraouie est insensée car il ne faut pas oublier que la RASD est un membre fondateur de l'organisation panafricaine ». On appréciera le choix du terme « insensé », plus employé dans le domaine psychanalytique que diplomatique.

Le Premier ministre ajoute que « si le Maroc souhaite adhérer à l'UA sans condition, l'Algérie n'y voit aucun problème, mais il y a des procédures à suivre ». Il ne semble pas que le Maroc ait présenté des « conditions » pour son adhésion, le roi Mohammed VI, dans son message adressé à ses pairs africains, n’ayant pas fait mention du terme « condition ». Et la même source officielle marocaine nous a bien expliqué que « par courtoisie, et en diplomatie la courtoisie compte beaucoup, on ne pose pas de conditions quand on demande à adhérer à un groupe ou une communauté », puis elle a ajouté que « les pays qui seraient opposés à l’adhésion du Maroc devront s’expliquer »… Ce qui serait relativement ardu car le Maroc, selon le message du roi, est le 1er investisseur en Afrique de l’Ouest et le second sur le continent. Les Algériens, surpris, savent ne pas pouvoir s’opposer…

Abdelmalek Sellal conclut que « s'il s'agit de rouvrir des dossiers inhérents aux domaines de coopération, nous sommes prêts, (mais ) pour le Sahara occidental, la position est dès le début claire et constante, nous sommes pour la solution onusienne et le respect de la légalité internationale ». Le roi Mohammed VI n’a pas dit autre chose dans sa lettre : « L’Union africaine se trouve aussi en total décalage avec l’évolution de la question du Sahara, au niveau des Nations Unies. Un processus est en cours, sous la supervision du Conseil de Sécurité, pour parvenir à une solution politique définitive de ce différend régional.  L’UA ne peut donc, seule, préjuger de l’issue de ce processus. Par sa neutralité retrouvée, elle pourrait, par contre, contribuer d’une manière constructive à l’émergence de cette solution ».

Le chef de la diplomatie surpris

Et le Premier ministre a reçu le renfort de son ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamramra  qui a déclaré que « l'adhésion à l'UA implique une procédure bien définie et le Royaume du Maroc doit, s'il veut y adhérer,  respecter les termes de l'acte constitutif de l'Union ». Fort bien. Que dit ledit acte constitutif ? Réponse en l’article 29, qui dit ceci :

« Admission comme membre de l’Union

1/ Tout Etat africain peut, à tout moment après l’entrée en vigueur du présent Acte, notifier au Président de la Commission son intention d’adhérer au présent Acte et d’être admis comme membre de l’Union.

2/ Le Président de la Commission, dès réception d’une telle notification, en communique copies à tous les Etats membres. L’admission est décidée à la majorité simple des Etats membres. La décision de chaque Etat membre est transmise au Président de la Commission qui communique la décision d’admission à l’Etat intéressé, après réception du nombre de voix requis».

Dans l’attente du prochain sommet qui se tiendra en janvier 2017 à Addis Abeba, la motion des 28 (nombre égal à 27+1, 27 étant le seuil de la majorité des 54 membres) souligne que les signataires « saluent la décision du Royaume du Maroc, membre fondateur de l’OUA et dont la contribution active à la stabilité et au développement du Continent est largement reconnue, d’intégrer l’Union africaine et entendent œuvrer pour que ce retour légitime soit effectif dans les meilleurs délais ». L’accord de la majorité simple est donc acté.

Les Algériens, habitués depuis la création de l’UA en 2002 à y agir comme ils l’entendent, se trouvent effectivement bousculés par la brusque offensive diplomatique du Maroc et par son degré de préparation extrêmement minutieux.

Les choses se sont faites en deux temps, après plusieurs mois d’intenses activités diplomatiques. 1/ Demande d’adhésion à travers un message dont les termes sont dosés au millimètre et, 2/, motion à double détente signifiant l’accord à l’adhésion demandée et dans la foulée la suspension de la RASD.

Le ministre chargé des Affaires maghrébines et africaines en pleine confusion

Il s’appelle Abdelkader Messahel et de toute évidence, il a été bousculé par l’enchaînement très étudié des événements. Messahel a en effet dit que la demande d’adhésion d’un pays doit être déposée et recueillir l’aval de 28 pays. Il a dit cela deux jours après le dépôt de la motion signée, donc, par 28 pays… Mais il a occulté cela en ajoutant que si « vous voulez rentrer, vous rentrez, mais sans conditions. Il n'y pas de conditions ni de gel ni de retrait ni de suspension. La suspension ne se fait que dans un seul cas, c'est lorsqu'il y a changement anticonstitutionnel dans un pays ».

Certes, mais les 28 n’ont pas demandé la suspension… En effet, ils ont dit dans leur motion qu’ils « décident d’agir en vue de la suspension, prochaine, de la « république arabe sahraouie démocratique » des activités de l’Union Africaine ». Cela signifie en langage juridique qu’ils savent qu’il n’existe pas de clause de « suspension », et qu’en conséquence ils vont « agir » dans ce sens, c’est-à-dire introduire une demande d’amendement de l’Acte constitutif pour y inclure une clause pour la suspension, la radiation ou l’exclusion, autrement que pour des raisons « constitutionnelles » internes aux pays.

Dans son message, Mohammed VI a écrit un passage qui semble être expressément destiné à Messahel, pourtant : « L’Union africaine, n’est- elle pas en contradiction évidente avec la légalité internationale ? puisque ce prétendu Etat n’est membre ni de l’Organisation des Nations Unies, ni de l’Organisation de la Coopération Islamique, ni de la Ligue des Etats arabes, ni d’aucune autre institution sous régionale, régionale ou internationale ? ». Les organismes cités figurent dans le titre gouvernemental dudit...

 

Alger acculée par Washington

Un autre événement a fortement ébranlé les Algériens, à savoir l’introduction dans le projet de budget américain 2017 d’un article prévoyant le financement d’un recensement des populations des camps de Tindouf. L’ambassadeur d’Alger à Washington est immédiatement monté au créneau pour dénoncer ce qu’il voit comme « une tentative d’impliquer Alger dans un conflit qui n’est pas le sien ».

Mais la charge est lourde car les Algériens appelant au référendum d’autodétermination des séparatistes du Polisario, qu’ils reçoivent sur leur sol, ne peuvent logiquement dire non à ce recensement, au risque de perdre leur crédibilité aux yeux des Etats-Unis. En effet, avant de faire voter des gens, il faut savoir qui ils sont et combien ils sont…

Conclusion

On retiendra qu’il aura fallu trois jours aux Algériens pour réagir à ce qui les a fortement bousculé, mettant à mal leurs projets pour maintenir le Maroc en isolement. Au lendemain de l’ « intronisation » de Brahim Ghali (ancien « ambassadeur » à Alger) à la tête du Polisario, ils pensaient lui assurer une belle cérémonie d’accueil au sein de l’UA, ce qui s’est effectivement réalisé à l’ouverture du 27ème Sommet de Kigali, mais ils n’avaient pas vu venir l’offensive marocaine.

Fin, donc, de la phase 1 du plan de Rabat pour retrouver son rang dans le continent. La phase 2 a commencé par cette décision d’ « agir » des 28, auxquels devront s’ajouter au moins une dizaine d’autres dans les six mois à venir.

Aziz Boucetta

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