
(Billet 314) – Rien ne sera plus, ou ne devrait plus être, comme avant !
Le Maroc, et les Marocains, auront réussi en deux mois des prouesses sur lesquelles leurs gouvernants soliloquent vainement depuis 10, 20, 50 ans. Avec le Covid, on aura semble-t-il appris à diagnostiquer vite, réfléchir très vite et exécuter encore plus vite. Des projets que l’on pensait difficiles voire irréalisables ont vu le jour à une déconcertante vitesse. Il sera, demain, après le déconfinement, rude de revenir en arrière, et si d’aventure cela était le cas, la situation serait dangereuse…
La digitalisation. L’informatique grand public existe depuis trente ans, le net (au Maroc) est disponible depuis vingt ans et cela fait dix ans qu’on cogite, qu’on s’agite, qu’on converse et qu’on tergiverse sur la digitalisation administrative. Et rien… Les immenses problèmes posés n’auront pas réussi à accélérer les choses, et il aura fallu un machin invisible mais effrayant pour tout mettre en place. Il faut reconnaître que distribuer de l’argent à des millions de personnes, en ville ou dans les campagnes, est une prouesse technique, technologique et financière que peu de pays peuvent s’offrir. Revenir en arrière sur la digitalisation serait périlleux.
Les banques. Habituellement lentes à la détente et rétives à toute forme d’invective, voilà que soudain, nos vénérables institutions se sont mises en ordre de bataille. On peut même dire que c’est en grande partie grâce à elles que l’édifice Maroc tient encore. Jadis hautaines, les voilà aujourd’hui plus humaines… Oh certes, des ordres ont été donnés et une urgence est déclarée, mais rien ne saurait être fait sans une adhésion massive du secteur, et c’est ce qui se produit sous nos yeux ébahis. Abandonner tout cela, un jour, serait hasardeux.
L’Etat. Jamais les humains n’auront eu autant besoin d’un Etat fort et rarement un Etat fort aura réussi une telle mobilisation populaire. La peur est certes là, qui facilite beaucoup les choses, mais les pouvoirs publics font le travail, alternant la sérénité dans l’action et la sévérité dans la réaction. Cette fois-ci, le clivage n’est plus entre conservateurs et « modernistes », entre partis dit du makhzen et partis issu du mouvement national, mais entre les faucons de l’orthodoxie budgétaire et les défenseurs de la souplesse financière. L’Etat donne sans compter, espérant compter plus tard sur l’activisme et le civisme des bénéficiaires d’aujourd’hui. Agir autrement, demain, serait déconseillé.
L’informel. Ce secteur vague et flou, dont l’effectif et les chiffres ne sont qu’estimés, n’avait l’estime de personne. On s’aperçoit aujourd’hui, ô miracle covidien, que ce sont des hommes et des femmes, qui mangent, respirent, aiment et surtout ont des sentiments qui se déclinent souvent en ressentiments. Ces gens qu’on avait jeté un peu trop vite dans les oubliettes de l’économie ne sont plus aujourd’hui oubliés. Ils reçoivent de l’argent, se laissent recenser, encensent l’Etat et intègrent la partie « reconnue » de la société. Les négliger après le Covid-19 serait un acte dangereux.
La police et, plus généralement, l’autorité. Longtemps administrations malaimées, décriées, intrusives et effrayantes, elles ont changé. Les femmes et hommes de la sécurité au sens large ont montré avec éclat et brio qu’ils savent travailler pour le peuple, et on comprend aujourd’hui que finalement, ils en sont issus. Pour ceux qui veulent voir et savoir, cela se produit depuis quelques années déjà, mais aujourd’hui, avec les applaudissements et quelques larmes versées, police, gendarmerie, caïds et caïdates ont montré avec émotion leur proximité avec le peuple.
Et le peuple… Tout le monde est logé à la même enseigne, à l’exception des Marocain(e)s laissés scandaleusement en berne à l’étranger. Riches et pauvres, urbains et ruraux, manuels ou intellectuels, les gens, semble-t-il, se regardent avec sympathie, et l’empathie des uns pour les autres gagne du terrain. Oh, il existe encore certains abrutis à la morale décatie et nombre d’entrepreneurs qui profitent éhontément et même outrageusement des largesses publiques (la CGEM devra se prononcer sur cela, un jour…), mais globalement, un récit national est en passe de se construire…
Il faut que tout change pour que rien ne change, dit-on… et parfois, aussi, tout change quand rien ne change ; cela s’appelle une révolte ou une révolution, plus rarement une évolution. Au Maroc, en cette année de grâce et de confinement 2020, tout peut changer car tellement de choses ont changé, mais pour cela, il ne faut rien changer après de ce qui a changé pendant…
Plus clairement, si on sait y faire, et si surtout on veut le faire, nous sommes à l’œuvre pour bâtir un Maroc de demain qui aurait de la gueule !
Aziz Boucetta
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