(Billet 913) – Le « chaâbiya laâziz » raté d’Emmanuel Macron
Il existe pourtant suffisamment de bureaux meublés et équipés dans le palais de l’Elysée pour abriter des conseillers/rédacteurs compétents, pour écrire et immortaliser la parole présidentielle. Surtout qu’elle est abondante, cette parole, et que selon la loi des grands nombres, elle a plus de probabilités de déraper. C’est ce qui s’est produit ce mardi 12 septembre quand le chef de l’Etat français s’est directement adressé aux…Marocains.
« Bonjour, je voulais m’adresser directement aux Marocaines et aux Marocains », dites-vous… Ça ne va pas, non ? Navré d’user de ce langage familier mais vous le permettez par votre adresse « directe » à une population qui n’est pas la vôtre, à laquelle et comme les autres peuples du monde seul son chef d’Etat s’adresse « directement » ; feriez-vous une sorte d’usurpation d’identité ? Le « chaâbia laâziz »*, seul le roi est en droit de nous le dire... et puis, être devenu inaudible auprès de votre propre population ne vous autorise nullement à vous adresser « directement » à une autre, qui plus est non seulement est sinistrée et endeuillée mais aussi passablement remontée contre vous personnellement et contre votre politique condescendante et votre attitude encore plus arrogante que jamais.
Cette population (et parmi elle, dites-vous, « ceux qui vivent entre le Maroc et la France ») à laquelle vous avez voulu parler est la même que celle à laquelle vous avez un jour décidé d’appliquer le châtiment collectif de la restriction de visa, la population que vous avez humiliée, car vous aviez un problème avec l’Etat marocain. Et c’est aussi parce que vous avez un problème avec l’Etat marocain que vous décidez, dans un geste qui se veut fort, de commettre l’une des plus grosses bourdes commises par un chef d’Etat. Au nom de la com.
La com, la com… Un dessin paru dernièrement, vous montre aux côtés du roi Mohammed VI, lui disant, « pourquoi tu parles pas ? », apostrophe à laquelle dans le dessin le roi répond « pourquoi tu la fermes pas ? ». Et de fait, sans un mot prononcé en public, le souverain a agi en trois temps en moins de cinq jours, en organisant les secours, en visitant les blessés et, enfin, en lançant un plan de réhabilitation de la région sinistrée et de prise en charge des personnes et des mineurs atteints par le séisme. Ce plan est un véritable projet, un chantier, LA solution. Sans un mot de trop.
Voyez-vous, Président, l’art de maîtriser la communication sans prononcer un seul mot public. Le pouvoir de l’image au lieu du bavardage, l’empathie visible face à la solennité risible, la conscience opposée à l’insouciance. Le métier face à de l’amateurisme.
Par ailleurs, dans votre très peu inspirée allocution, vous signifiez votre souhait que « cette polémique cesse ». Et elle cessa ! Elle s’arrêta net dans tous ces médias de votre pays, supposés indépendants. Tous ? Non, seule France24 a résisté encore et toujours à l’éthique et à la déontologie la plus élémentaire. Les mêmes plateaux de cette chaîne, qui s’étaient montrés outrés de ce qu’ils avaient appelé un refus marocain de l’aide française, s’interrogeaient sur la nécessaire coordination des aides internationales en Libye. Contradiction ? Non, France24 est simplement dans son rôle de propagande, Président, même si vous avez soutenu l’inverse lors de votre discours aux ambassadeurs ce 28 août. Vous l’avez dit en 2022, qu’il fallait « mieux utiliser le réseau France Médias Monde », vous l’avez juste un peu enrobé et vernis en 2023.
Quelques verbiages plus loin, dans cette même adresse aux Marocains, Président, vous parlez de soutien financier, culturel, patrimonial, humanitaire… C’est certes gentil et soyez-en remercié, mais parlez-en au gouvernement du Maroc, avec lequel il semblerait que la France ait quelques menus différends. Le Maroc est un pays structuré, organisé, et qui de la reconnaissance même de l’ONU, a bien développé ses propres capacités de réponse aux désastres naturels. Mais soyez-en remercié tout de même, de l’avoir au moins dit, même si encore une fois la forme est fort discutable, voire inacceptable.
Ah, dernière chose… Dans un entretien médiatique, votre ministre de l’Europe (d’abord) et des Affaires étrangères (accessoirement), a dit que vous avez été invité au Maroc, et que seules les dates doivent être encore fixées. Serait-elle incompétente, mystificatrice ou simplement naïve, car ce n’est pas la première fois qu’elle parle de votre visite au Maroc ? En effet, et alors que vous êtes encore en dehors du « prisme » évoqué par le roi Mohammed VI, elle s’est encore trompée, comme vient de le confirmer bruyamment la MAP, citant une source gouvernementale… et, le cas échéant, seriez-vous vraiment bienvenu au Maroc ? Cela est une autre histoire. La raison d’Etat peut évoluer, pas celle des peuples. Vous ne viendrez peut-être pas au Maroc, M. Macron, mais à la place vous irez à Canossa.
Comme il a suréquipé et aménagé son Sahara (n’est-ce pas, Monsieur le Président), le Maroc s’est bien équipé dans le reste de son territoire, comme on le voit dans les actuelles opérations de secours. Alors, au roi du Maroc l’efficacité silencieuse, à vous la com assourdissante.
Aziz Boucetta
* "Cher peuple", expression récurrente dans les discours royaux.
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