(Billet 1130) – Changer le code de la route, c’est bien… sévir durement, c’est mieux

(Billet 1130) – Changer le code de la route, c’est bien… sévir durement, c’est mieux

On a changé le code de la route en 2010, le rendant plus agressif et bien plus coercitif… on a changé le Comité national en Agence de sécurité routière… on a renouvelé le matos et multiplié les motards… on a fait beaucoup de choses, mais on perd toujours une dizaine de personnes par jour, mortes, tuées, et quelques autres aussi, quotidiennement, qui passeront le reste de leur vie handicapées. Que faire alors ? Durcir, durcir encore, durcir toujours.

La conduite est une culture. En Arabie Saoudite, dans le temps, des écriteaux fleurissaient sur les bords des routes, informant les croyants que « la conduite est un art, une responsabilité et une éthique ». Tout un programme. Chez nous, on ne conduit pas, on roule sur les voies ! Chacun a son approche, son attitude, son comportement, et au final, cela donne une hécatombe.

Et pourtant, le Maroc, avec son gouvernement, ses institutions élues, sa NARSA, ses ministres et tous les autres responsables, a fait le travail. Que l’on en juge… Des Stratégies nationales de sécurité routière, ou SNSR, de 2004 à 2013, puis un autre de 2017 à 2026, et entre les deux années pour évaluer la 1ère stratégie, penser et lancer la seconde ; et ce n’est pas tout ! Entre deux SNSR, les responsables nous ont concocté des PSIU. Qu’est-ce qu’un PSIU ? Un Plan stratégique intégré d’urgence, en 2004-2006, 2008-2010 et 2011-2013. En 1977, le Maroc a créé le Comité national de prévention des accidents de la circulation, ou CNPAC, mais en 2020, face au carnage persistant, on a pensé que changer la langue allait apporter quelque résultat , et NARSA (National Road Safety Agency) est née.

Mais rien ne changea, rien ne change et rien ne semble devoir un jour changer. Le Maroc enterre annuellement entre 3.500 et 4.000 de ses enfants, et chaque année aussi ce sont 10 à 15.000 personnes gravement blessées, c’est-à-dire durablement diminuées, dépendantes et à charge. Depuis l’adoption du nouveau Code de la route, voici 15 ans presque jour pour jour, cela fait près de 55.000 tués et quelques 150.000 personnes à handicap lourd ou permanent que le Maroc a compté ! Dans l’intervalle, les autorités publiques, et plus exactement le ministère des Transports et plus finement encore le CNPAC/NARSA, ont multiplié les SNSR, PSIU et autres sigles mystérieux.

Continuons sur les chiffres (qu’on ne trouve étrangement plus aussi détaillés sur le site Narsa)… Si on estime le coût annuel de l’insécurité routière sous toutes ses formes à environ 20 milliards de DH, ou environ 2 milliards USD, on peut avoir une idée non seulement des dégâts occasionnés mais aussi du retard de développement matériel et humain que l’insécurité sur les routes induit. Et en matière de classement annuel des pays, le Maroc est, bien évidemment, là aussi, solidement parqué en seconde partie du tableau…

De quoi cela est-il le nom ? Comme pour la santé et l’éducation, l’emploi ou la régionalisation, cela est le nom d’un échec des politiques publiques en matière de sécurité routière. Un échec flagrant, un échec retentissant. Un échec qui induit des morts, une insécurité, du malheur. Bêtement ! Oui, bêtement, car tout cela est le résultat de la combinaison des actes de personnes inciviques et/ou stupides et d’un laxisme des autorités publiques. Et pourtant, police et gendarmerie font leur travail ; il est certes perfectible mais ceux qui connaissaient l’état et l’éthique des agents voici seulement 20 ans mesurent la différence : les profils de ces agents, leur matériel, leurs caméras, leur comportement à l’égard des contrevenants et leur organisation a changé, radicalement. Alors pourquoi cela ne marche pas ?

La réponse est toute simple : quand une loi n’atteint pas ses objectifs, c’est qu’elle est inadaptée aux réalités, et il faut donc la changer. Si verbalisation, sensibilisation, éducation et contrôles divers ne servent à rien, alors il importe de changer son fusil d’épaule et de durcir la loi.

Une combinaison des concepts de « violence légitime de l’Etat » et de « terroriser les terroristes » (en changeant les termes, tout de même…) serait une solution. Pour cela, il faut déjà demander des explications aux différents responsables qui ont eu en charge ce secteur dans le passé, repenser à un texte législatif plus coercitif, procéder à des évaluations indépendantes régulières, étrangères ou marocaines. Ce qu’on obtient pas par de la violence légitime et légale, on l’obtient avec encore plus de violence légitime et légale.

Frapper au portefeuille n’est plus suffisant, les délinquants de la route étant en règle générale aussi peu civilisés que nantis ; confisquer les véhicules pour une longue durée est meilleur. Appliquer des amendes élevées est une bonne chose, les cumuler et les additionner pour en asséner le montant, forcément stratosphérique, au renouvellement de la vignette ou en demandant à produire une sorte de quitus, délivré par l’administration fiscale, une fois l’an. Réglementer un retrait quinquennal du permis pour tous les moins de 30 ans pris en flagrant délit de grande vitesse est aussi dissuasif. Juger ces jeunes délinquants serait aussi un acte fort, et la présence des parents aux jugements des moins de 25 ans, délinquants routiers, serait aussi très intimidant…

Dans l’attente de tout cela, les responsables de Narsa et du ministère se réfugient derrière des chiffres auxquels, on le sait, on fait dire ce qu’on veut, et alignent des intentions qui, on le sait aussi, n’engagent rien ni personne. On peut organiser autant de Conférences ministérielles internationales sur la sécurité routière, comme à Marrakech début février, et claironner, comme le fait Narsa, qu’ « ensemble, nous avons le pouvoir de façonner un futur plus sûr et plus humain pour tous », n’oublions pas que chaque jour, 10 personnes perdent la vie et près de 30 perdent leur santé ou leur mobilité…

Au Maroc, nous avons pris l’habitude de rater nos politiques publiques et nous nous sommes accoutumés à attendre toujours des lendemains meilleurs. Mais quand l’hécatombe est là, il faut agir, et pour agir dans l’efficacité, il faut revoir l’ensemble de l’édifice institutionnel et réglementaire.

Aziz Boucetta

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