Réponse d'Adnane Benchekroun au "Billet 1238"
Suite au billet 1238 intitulé "Pourquoi l'Istiqlal doit quitter la majorité, maintenant !", nous avons reçu la réponse d'Adnane Benchekroun, directeur de l'ODJ, membre du Conseil national de l'Istiqlal et vice-président de l'Alliance des économistes istiqlaliens. Ce texte, argumenté et qui respecte les règles du débat, est également publié sur l'ODJ. En voici l'intégralité.
Cher ami, cher camarade,
J’ai lu avec beaucoup d'intérêt comme d’habitude ton article "Pourquoi l'Istiqlal doit quitter la majorité, maintenant !".
Je te demande la permission d’y répondre amicalement et sans polémique aucune. C’est la règle du débat.
Cher ami, cher camarade,
Il y a parfois des analyses qui se parent d’un ton prophétique, presque messianique, et qui finissent par tourner en boucle sur leurs propres certitudes. A mon humble avis, ton analyse appartient à cette catégorie : brillant dans la forme, séduisant dans la rhétorique, mais terriblement fragile dans le fond. Une démonstration qui se veut implacable mais qui repose sur un postulat discutable : l’idée que l’Istiqlal aurait le devoir moral — et presque l’obligation historique — de quitter la majorité maintenant, comme si ce geste constituait l’unique voie de salut national.
Cette vision binaire — partir = courage, rester = compromission — mérite d’être remise à sa juste place : une opinion. Forte, assumée, mais une opinion. Pas une vérité politique.
Cher ami, cher camarade, tu commences par idéaliser le geste de rupture, comme s’il suffisait de claquer la porte pour devenir un homme d’État. Ce romantisme politique ignore une évidence : gouverner, c’est aussi endurer l’imperfection. L’Istiqlal n’est pas accroché à un « navire qui coule », mais à un pays qui traverse une zone de fortes turbulences, comme tous les États qui affrontent inflation mondiale, tensions sociales et recompositions géopolitiques et je ne parle même pas du projet d'autonomie pour nos provinces du sud..
Sortir aujourd’hui, ce serait offrir un trophée symbolique à l’opinion, mais ce serait aussi abandonner la table au moment où les arbitrages cruciaux se jouent. Je pense que tu réduit cette complexité à un réflexe pavlovien : indignez-vous, partez, et l’Histoire vous acclamera.
Cette logique flatteuse fait de la politique un théâtre, là où elle réclame parfois de la patience, du pragmatisme, et même une certaine dose d’ingratitude.
Ensuite, je crois que tu t’appuie sur une vision très sélective des faits.Tu charge le RNI et le PAM comme si l’Istiqlal vivait en résidence surveillée, victime d’alliés encombrants, presque sans agency politique. C’est une caricature. L’Istiqlal a, depuis trois ans, pesé selon son poids politique actuel, sur des textes, sur des réformes, sur des arbitrages. Il a freiné certaines dérives, il a contribué à corriger plusieurs trajectoires. Rester dans la majorité n’est pas une abdication : c’est un levier.
On peut reprocher mille choses au gouvernement — et elles sont légitimes — mais réduire toute la coalition à des « turpitudes », des « errements », des « soupçons » revient à transformer un diagnostic politique complexe en pamphlet moraliste. Le rôle d’un parti responsable n’est pas de réagir à chaque secousse par une défection, mais d’évaluer honnêtement où l’impact réel est possible. De l’intérieur, parfois plus que de l’extérieur.
Cher ami, cher camarade, tu invoque ensuite la Génération Z, devenue depuis quelques mois l’argument-en-chef de tous les éditorialistes pressés. Oui, les jeunes ont exprimé une colère. Oui, ils attendent 2026. Mais leur rapport à la politique n’est pas univoque : ils sanctionnent l’inaction, mais aussi les gesticulations. Quitter la majorité en 2025 pour « envoyer un signal » est peut-être un geste fort, mais c’est aussi une pirouette facile : on se lave les mains avant l’examen, puis on dénonce les copies des autres.
Tu reproche à l’Istiqlal de ne pas avoir organisé un vote interne sur le maintien dans le gouvernement. Étonnante remarque : le parti vient de tenir son dernier conseil national et personne parmi ces membres n’a demandé de rajouter à l'ordre du jour une telle question et entre nous faut-il vraiment que tout acte politique soit un numéro de transparence télévisée ?
Les partis ont aussi des priorités, des stratégies, des séquences. Un vote, oui, mais au bon moment, quand les circonstances politiques l'exigent et surtout quand la question n’est pas instrumentalisée sous la pression éditoriale.
Enfin, la comparaison permanente avec Ssi Boucetta père ou Chabat ne tient pas. Les contextes ne sont pas comparables. Les coalitions non plus. La nature de l’État marocain, en 2025, encore moins. Se réclamer de l’histoire pour prescrire des gestes mécaniques aujourd’hui revient à manier la nostalgie comme un outil analytique. Ce n’en est pas un.
L’Istiqlal peut quitter la majorité. C’est possible. Il l'a déjà fait dans le passé et il a déjà refusé de participer dans certaines majorités. Mais le faire aujourd’hui, sur la base d’un récit anxiogène ou d’une colère médiatique, serait une décision émotionnelle, pas stratégique. Et un parti de gouvernement n’a pas à agir dans le registre de l’émotion.
En réalité, ton analyse cher ami et camarade dit surtout ceci : l’Istiqlal doit faire un geste spectaculaire. Peut-être. Mais la politique n’est pas un cirque où l’on joue pour les applaudissements. C’est un chantier où l’on travaille, parfois dans la poussière, sans projecteurs.
Le Maroc mérite mieux qu’un feuilleton d’abandons successifs. Il mérite un débat serein, une vision longue, une opposition quand elle est nécessaire et une participation quand elle est utile. Quitter pour rester fidèle à soi-même est noble. Rester pour continuer à influencer est légitime.
L’erreur des observateurs politiques, si tu permet, est de présenter l’un comme héroïque et l’autre comme honteux. La vérité est plus subtile : dans la complexité marocaine actuelle, le courage peut aussi consister à ne pas céder à la tentation du geste facile.
Et cela, l’Histoire sait très bien le reconnaître.
Je te demande la permission d’y répondre amicalement et sans polémique aucune. C’est la règle du débat.
Cher ami, cher camarade,
Il y a parfois des analyses qui se parent d’un ton prophétique, presque messianique, et qui finissent par tourner en boucle sur leurs propres certitudes. A mon humble avis, ton analyse appartient à cette catégorie : brillant dans la forme, séduisant dans la rhétorique, mais terriblement fragile dans le fond. Une démonstration qui se veut implacable mais qui repose sur un postulat discutable : l’idée que l’Istiqlal aurait le devoir moral — et presque l’obligation historique — de quitter la majorité maintenant, comme si ce geste constituait l’unique voie de salut national.
Cette vision binaire — partir = courage, rester = compromission — mérite d’être remise à sa juste place : une opinion. Forte, assumée, mais une opinion. Pas une vérité politique.
Cher ami, cher camarade, tu commences par idéaliser le geste de rupture, comme s’il suffisait de claquer la porte pour devenir un homme d’État. Ce romantisme politique ignore une évidence : gouverner, c’est aussi endurer l’imperfection. L’Istiqlal n’est pas accroché à un « navire qui coule », mais à un pays qui traverse une zone de fortes turbulences, comme tous les États qui affrontent inflation mondiale, tensions sociales et recompositions géopolitiques et je ne parle même pas du projet d'autonomie pour nos provinces du sud..
Sortir aujourd’hui, ce serait offrir un trophée symbolique à l’opinion, mais ce serait aussi abandonner la table au moment où les arbitrages cruciaux se jouent. Je pense que tu réduit cette complexité à un réflexe pavlovien : indignez-vous, partez, et l’Histoire vous acclamera.
Cette logique flatteuse fait de la politique un théâtre, là où elle réclame parfois de la patience, du pragmatisme, et même une certaine dose d’ingratitude.
Ensuite, je crois que tu t’appuie sur une vision très sélective des faits.Tu charge le RNI et le PAM comme si l’Istiqlal vivait en résidence surveillée, victime d’alliés encombrants, presque sans agency politique. C’est une caricature. L’Istiqlal a, depuis trois ans, pesé selon son poids politique actuel, sur des textes, sur des réformes, sur des arbitrages. Il a freiné certaines dérives, il a contribué à corriger plusieurs trajectoires. Rester dans la majorité n’est pas une abdication : c’est un levier.
On peut reprocher mille choses au gouvernement — et elles sont légitimes — mais réduire toute la coalition à des « turpitudes », des « errements », des « soupçons » revient à transformer un diagnostic politique complexe en pamphlet moraliste. Le rôle d’un parti responsable n’est pas de réagir à chaque secousse par une défection, mais d’évaluer honnêtement où l’impact réel est possible. De l’intérieur, parfois plus que de l’extérieur.
Cher ami, cher camarade, tu invoque ensuite la Génération Z, devenue depuis quelques mois l’argument-en-chef de tous les éditorialistes pressés. Oui, les jeunes ont exprimé une colère. Oui, ils attendent 2026. Mais leur rapport à la politique n’est pas univoque : ils sanctionnent l’inaction, mais aussi les gesticulations. Quitter la majorité en 2025 pour « envoyer un signal » est peut-être un geste fort, mais c’est aussi une pirouette facile : on se lave les mains avant l’examen, puis on dénonce les copies des autres.
Tu reproche à l’Istiqlal de ne pas avoir organisé un vote interne sur le maintien dans le gouvernement. Étonnante remarque : le parti vient de tenir son dernier conseil national et personne parmi ces membres n’a demandé de rajouter à l'ordre du jour une telle question et entre nous faut-il vraiment que tout acte politique soit un numéro de transparence télévisée ?
Les partis ont aussi des priorités, des stratégies, des séquences. Un vote, oui, mais au bon moment, quand les circonstances politiques l'exigent et surtout quand la question n’est pas instrumentalisée sous la pression éditoriale.
Enfin, la comparaison permanente avec Ssi Boucetta père ou Chabat ne tient pas. Les contextes ne sont pas comparables. Les coalitions non plus. La nature de l’État marocain, en 2025, encore moins. Se réclamer de l’histoire pour prescrire des gestes mécaniques aujourd’hui revient à manier la nostalgie comme un outil analytique. Ce n’en est pas un.
L’Istiqlal peut quitter la majorité. C’est possible. Il l'a déjà fait dans le passé et il a déjà refusé de participer dans certaines majorités. Mais le faire aujourd’hui, sur la base d’un récit anxiogène ou d’une colère médiatique, serait une décision émotionnelle, pas stratégique. Et un parti de gouvernement n’a pas à agir dans le registre de l’émotion.
En réalité, ton analyse cher ami et camarade dit surtout ceci : l’Istiqlal doit faire un geste spectaculaire. Peut-être. Mais la politique n’est pas un cirque où l’on joue pour les applaudissements. C’est un chantier où l’on travaille, parfois dans la poussière, sans projecteurs.
Le Maroc mérite mieux qu’un feuilleton d’abandons successifs. Il mérite un débat serein, une vision longue, une opposition quand elle est nécessaire et une participation quand elle est utile. Quitter pour rester fidèle à soi-même est noble. Rester pour continuer à influencer est légitime.
L’erreur des observateurs politiques, si tu permet, est de présenter l’un comme héroïque et l’autre comme honteux. La vérité est plus subtile : dans la complexité marocaine actuelle, le courage peut aussi consister à ne pas céder à la tentation du geste facile.
Et cela, l’Histoire sait très bien le reconnaître.
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