Spike Lee, futur président du jury : Vers un Festival de Cannes très politique
Le Festival de Cannes a désigné le réalisateur américain Spike Lee comme prochain président du jury. C’est non seulement le premier homme noir à occuper cette fonction, mais aussi un homme fermement engagé contre le racisme
Le réalisateur américain Spike Lee a été désigné pour être le prochain président du jury du Festival de Cannes (12-23 mai), devenant ainsi le premier homme noir à occuper cette fonction prestigieuse.
Spike Lee est un fervent défenseur des minorités et des femmes, comme l’illustrent ses discours et interviews.
Pour une fois, il a fait sobre, pourrait-on dire : dans une déclaration rendue publique juste après sa désignation comme président du jury de la prochaine édition du festival de Cannes, le réalisateur Spike Lee, premier homme noir à occuper cette fonction, s’est dit « honoré d’être la première personne de la diaspora africaine (États-Unis) à assurer la présidence du Jury de Cannes et d’un grand festival », alors que la veille encore, les critiques pleuvaient contre des nominations trop blanches aux Oscars. Une déclaration plutôt sobre et classique, dans l’ensemble, si ce n’est… la signature : « Paix et Amour, Spike Lee, République du peuple de Brooklyn, New York », du nom du quartier de la mégapole américaine où le cinéaste a grandi, et auquel il a adressé un hymne en cinq petits films.
C’est dans cette signature qu’il faut chercher le ton Spike Lee : politique et volontiers irrévérencieux. Dans ses films et dans ses discours, le réalisateur n’a cessé de plaider la cause noire et d’envoyer des messages.
2019: « Mobilisons-nous, soyons du bon côté de l’Histoire »
C’était en février dernier, et cela faisait des années que Spike Lee l’attendait : sa toute première statuette aux oscars, dans la catégorie de la meilleure adaptation, pour BlacKkKlansman. Une histoire tirée du roman Black Klansman de Ron Stallworth, dans lequel il raconte comment, policier noir, il a infiltré une cellule du Ku Klux Klan à la fin des années 1970. A l’annonce de son oscar, Spike Lee saute dans les bras de l’acteur Samuel L. Jackson et prononce un vibrant hommage à ses ancêtres : « Ce soir, je salue nos ancêtres qui ont bâti ce pays et qui ont connu le génocide. Si nous nous connectons à nos ancêtres, nous gagnerons l’amour, la sagesse et retrouverons notre humanité. Ce sera un grand moment. » Un discours qu’il termine en forme de pied de nez à l’un de ses ennemis : le président des Etats-Unis, Donald Trump. « Mobilisons-nous, soyons du bon côté de l’Histoire. Faites le choix de l’amour contre la haine. Faisons le bon choix ! »
2016 : « Plus facile pour un Noir d’être président des Etats-Unis qu’à la tête d’un studio »
La scène se déroule un peu avant les Oscars, alors que les nominations viennent d’être annoncées. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer des #OscarsSoWhite, des Oscars « trop blancs ». Parmi ces voix, celle de Spike Lee, qui décide de boycotter la cérémonie : « Moi je n’irai pas, ma femme n’ira pas non plus, mais tout le monde peut faire ce qu’il veut. Moi ce soir-là j’irai voir le match des New York Knicks au Madison Square Garden ». Avant de lâcher : « Il est plus facile pour un Noir d’être président des Etats-Unis qu’à la tête d’un studio »
« Spike Lee est polémique, il n’a pas la langue dans sa poche. Mais il sait de quoi il parle, il est très documenté. C’est bien qu’il y ait un président du jury qui sorte de la norme euro-centrée blanche, il aura un intérêt plus prononcé sur les minorités et les femmes », commente Régis Dubois, spécialiste du cinéma afro-américain.
2013: « Le seul moyen de sortir un film en tant que cinéaste indépendant, c’est de mettre la main à la poche »
En 2013, Spike Lee effectue sa traversée du désert. Il a connu toute une période où il n’avait « plus la cote », nous explique Régis Dubois, auteur du livre Spike Lee, un cinéaste controversé. Pour financer son prochain film, il lance une campagne Kickstarter. Et en profite pour balancer un scud à Hollywood : « Le seul moyen de sortir un film en tant que cinéaste indépendant, c’est de mettre la main à la poche. »
2008: « Ce serait génial que la Maison Blanche puisse devenir la "Maison Noire" »
Nous sommes cette fois quelques mois avant l’élection de Barack Obama, dont la candidature représente un immense espoir pour des millions d’afro-américains et d’afro-américaines. Spike Lee présente Miracle à Santa-Anna au Festival de Deauville, une fresque sur le rôle des soldats afro-américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Interviewé par notre consœur Caroline Vié de 20 Minutes, qui lui demande si « un cinéaste doit être engagé », Spike Lee ne se dérobe pas :
« Je ne suis pas un donneur de leçons. Chacun fait son cœur et ses convictions. Pour ma part, je soutiens Obama à fond. Financièrement et verbalement. Ce serait génial que la Maison Blanche puisse devenir la "Maison Noire". Je croise les doigts pour que cela arrive en novembre. »
Spike Lee est un infatigable défenseur de la cause des Noirs, et la couleur est annoncée dans le nom même de sa maison de production : 40 Acres & A Mule Filmworks, en Français 40 acres et une mule, du nom de la promesse de réparation qui avait été votée pour les esclaves libérés et n’a presque jamais été mise en œuvre (sauf pour quelques centaines d’esclaves). « Le style de Spike Lee c’est beaucoup d’humour noir et de requêtes… c’est un cinéma de la réparation, commente Louis-George Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN). »
En nommant Spike Lee, le Festival de Cannes veut donc montrer qu’il se soucie d’inclusivité. « Ce qui est surprenant c’est qu’il a lui-même critiqué le manque de diversité dans la sélection du festival. Le choix de le désigner est une façon à la fois d’assimiler les contestations mais aussi d’y répondre », commente la chercheuse Célia Sauvage, docteure en en études cinématographiques et spécialiste du cinéma des Etats-Unis. Qui ajoute : « Avant Spike Lee, Isabelle Adjani, dont le père est algérien, était la première présidente de descendants africains. Elle est cependant loin d’être une représentante de la cause militante comme Spike Lee ». « Mais il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt, nuance Louis-George Tin : de même que Barack Obama n’a pas mis fin au racisme, Spike Lee à Cannes n’est pas la fin du racisme. »
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