(Billet 1241) - Presse sous pression et réforme empressée
Il est des situations qui marquent l’existence d’une personne, d’une entreprise, d’un secteur d’activité, d’un pays même parfois… des situations qui forment des tournants, des points d’inflexion, avec un avant et un après… des situations auxquelles on peut appliquer la formule que rien ne sera plus jamais comme avant…. Et c’est ce que connaît aujourd’hui le secteur des médias au Maroc, où désormais rien ne sera plus en effet comme avant.
Quel est le problème ? Le problème est dans cette relation toujours conflictuelle entre médias et pouvoirs publics, invariablement teintée de méfiance mutuelle, dans laquelle les deux parties, politiques et médias, usent de tous leurs moyens, activent tous leurs réseaux et emploient toutes leurs armes pour arriver à leurs fins. La différence est qu’aujourd’hui, les médias disposent d’une arme supplémentaire et ô combien puissante, en l’occurrence les nouvelles technologies. Le gouvernement ne l’accepte pas, il agit, mais ne peut résister ni aux nouveaux médias qui ont le pouvoir de réagir ni à la société qui a la capacité – et une très forte volonté – de rugir ; l’Etat médite, les professionnels militent, le gouvernement ne recule pas, la société spécule. Tout s’arrête.
Pour cette réforme du Conseil national de la presse (CNP), tout le monde s’y est mis, en même temps et tout le monde s’est trompé, en même temps. Le gouvernement a voulu réglementer et encadrer mais il a mal calibré son action ; la profession a souhaité s’autoréguler mais elle s’est divisée ; les destinataires, la société, veulent toujours mieux et plus s’informer, et ils ont encouragé l’évolution des médias par l’émergence de nouvelle formes et plateformes et de nouvelles/anciennes figures. Le résultat inattendu est que tout le monde, finalement, s’est « radicalisé », pour reprendre une expression chère à nos amis français. Le gouvernement ne veut rien savoir d’autre que passer sa loi, telle quelle, les professionnels ne se parlent plus, ou le font en criant, chaque camp voulant tirer la couverture à lui, en tirant sur l’autre, et le public a perdu confiance en ses médias, accordant son attention, sa sympathie et son temps aux nouveaux diseurs de bonnes aventures ou prophètes de malheur, qui se reconnaîtront.
Dans tout cet embrouillamini où les uns et les autres œuvrent à marquer des points, où vidéos, contre-vidéos, podcasts et contre-podcasts se multiplient, le CNP, objectif et point nodal de l’ensemble de la profession et de sa tutelle, sombre corps et âme. Et, glissant sur les dernières péripéties filmées, enregistrées, fuitées ou même chuchotées, cela fait plusieurs années que cela dure. Le gouvernement Akhannouch avait consensuellement prolongé le mandat de l’ancien CNP présidé par Younes Mjahed depuis son élection en 2018, mais de reports en débats, de controverses en résistances, les choses traînent et c’est tout le secteur qui patauge. Chacun dispose d’une version, d’une thèse, d’une façon de voir, du ministère avec son projet de loi semble-t-il déséquilibré aux professionnels et leur contestation en apparence légitime.
Et puis il y a eu l’affaire Mahdaoui… Lui se dit victime de complot, les complotistes supposés s’en défendent ; il a été quand même privé de carte de presse, à tort selon lui, à raison selon ceux qui la lui ont retirée. Puis il diffuse l’enregistrement de la séance de la commission de déontologie… L’acte est illégal et il pourrait en répondre, mais ce qui a été révélé l’est tout autant, en plus d’être peu éthique et quelqu’un devrait en répondre aussi.
Les choses n’ont donc jamais été aussi crispées et tout le monde est sur le pont, ministère, syndicat, associations professionnelles, journalistes de tous niveaux et de tous grades, et le public. Qu’on le veuille ou non, c’est l’impasse ; et comme chacun sait, quand on s’engage dans une impasse puis qu’on fonce droit devant, on s’encastre dans un mur. Le secteur n’en est pas loin, et la sagesse doit désormais prévaloir. Il serait insensé de vouloir traverser ce mur sans dégâts majeurs…
Il faut le dire aujourd’hui, malgré tous ses efforts et en dépit des attaques qu’il a subies et qu’il continue d’endurer, le ministre Mehdi Bensaïd a fait ses choix politiques et les assume, comme il l’a encore vaillamment fait hier sur 2M ; mais il faut croire et même admettre que les résistances sont fortes et que, en cas de passage en force, la situation risquera plus d’empirer que de s’améliorer.
Nous en sommes là, et la solution passera inévitablement, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, par le nécessaire et vital rétablissement de la confiance entre l’Etat (et le gouvernement) et les professionnels en toutes leurs qualités et statuts. Dans le cas contraire, rien ne sera possible, crédible et durable. Pour sa part, l’Etat (plus encore que le gouvernement) doit apprendre à appréhender les choses autrement, en acceptant la critique, la nouveauté et même, parfois, la perfidie. Il est naturel que les gens s’expriment, et si certains cherchent l’audience ou la puissance, les accepter est un « mal » nécessaire. L’Etat ne dispose de toutes les façons plus de la capacité de contrôler les nouvelles formes d’expression, sous peine d’abîmer son image de liberté et de respect du droit.
Et dans l’immédiat, il est important que tout cela cesse, car les médias forment un domaine où l’éthique est primordiale et il se trouve aujourd’hui que le Maroc a besoin plus que jamais d’éthique, et donc d’inspirer confiance. En effet, le plan d’autonomie « réelle » de nos provinces du Sud doit convaincre dehors et dedans, les jeunes (GenZ ou pas) voudraient croire en leur pays et leur avenir, donc en leur Etat, et les investisseurs doivent être rassurés pour s’engager.
Un consensus doit donc impérativement et rapidement être trouvé entre les différents protagonistes, alors même que le projet de loi 26-25, objet de toutes ces passions et de tous ces mouvements d’humeur et de fureur, est en discussion à la Chambre des conseillers. Y renoncer serait une erreur, le passer en force serait une faute. Les uns et les autres, Etat, gouvernement, professionnels éditeurs et journalistes, société civile… doivent aujourd’hui revenir à de meilleurs sentiments, renouer les contacts, restaurer la confiance pour faire honneur à l’article 28 de la constitution.
Autrement, l’article 42, alinéa 1, pourrait être activé, pour un arbitrage suprême, pour protéger le choix démocratique et pour veiller au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles du royaume. Car la sagesse doit, au final, primer et imprimer sa marque à ce secteur ô combien essentiel de la presse et des médias.
Aziz Boucetta
Commentaires