(Billet 831) – La France de M. Macron est-elle toujours une démocratie ?

(Billet 831) – La France de M. Macron est-elle toujours une démocratie ?

Pegasus, droits humains, résolution(s) du parlement européen sur instigation française, articles en rafale contre le Maroc et en série sur le roi du Maroc, les torts et les travers du royaume, et la généralisation de tout cela à l’Afrique… Ainsi est notre amie la France. Mais la France est-elle toujours cette démocratie que nous pensions qu’elle fut, qu’elle se pense être encore pour asséner des leçons urbi et orbi ? Peut-être que oui, mais peut-être aussi, et surtout, que non. En raison de plusieurs éléments au nom générique : Emmanuel Macron.

Depuis que le président Emmanuel Macron a été élu, les rapports de force entre gouvernants et administrés n’ont jamais été autant dans la conflictualité dans son pays depuis 1958, de même que les relations de la France avec l’extérieur, qui relèvent désormais bien plus du fait du prince que d’un corps diplomatique caractérisé par le sens de la nuance et l’art de la subtilité.

Quatre facteurs peuvent être recensés pour constater le déclassement de la France parmi les démocraties :

1/ La politique du passage en force permanent. Un projet de réforme des retraites pour un quinquennat, voire un décennat (2017-2027), mais un projet très largement rejeté par les Français, plus des deux tiers de la population y étant opposés selon les sondages. Mais cette réforme sera tout de même votée, au terme d’un artifice constitutionnel, puisque le gouvernement n’a pas de majorité, et de moins en moins de légitimité. Une réforme sociétale qui changera la vie des Français, et qui sera appliquée en dépit de l’opposition de la grande majorité des Français et de la majorité des parlementaires ; une réforme qui passe malgré l’opposition de la rue et sans l’assentiment des élus du peuple. Un passage en force et tout en mépris, comme d‘habitude, désormais emblématique de la politique générale suivie en France. La révolte gronde, les gaz lacrymogènes aussi.

2/ L'indépendance de la presse en recul. Journalistes suspendus, journalisme orienté, éléments de langage distillés par le président lui-même, aide de 30 millions à une presse devenue dépendante et donc obéissante… Avec la guerre en Ukraine, les médias russes sont purement et simplement suspendus et toute personne ayant une opinion différente de la doxa ambiante est systématiquement bannie des télévisions publiques ou privées. Le traitement de l’islam et de la situation en Israël répond à une panoplie d’éléments de langage convenus et tout contrevenant est aussitôt traqué et ostracisé. Et la même chose se produit pour d’autres thèmes, comme par exemple les débats autour de la communauté LGBT. Enfin, il est de plus en plus rare de trouver des personnes débattant sereinement de la diplomatie macronienne et des revers subis en Europe, en Afrique et dans l’Indopacifique.

3/ La répression systématique de toute contestation. Tout le monde garde à l’esprit le comportement des forces de l’ordre lors de la crise des Gilets jaunes, avec usage systématique d’armes suavement qualifiées de « sublétales », 24 éborgnements, 5 mains arrachées et 11 décès directement ou indirectement liés aux heurts entre une police majoritairement masquée et des manifestants brutalement traqués. L’ONU s’inquiète, l’Europe s’émeut. Depuis, toute manifestation impliquant l’intervention de forces de l’ordre se solde par des usages disproportionnés de la force au point que cela crée une large polémique sur la place de la police dans la cité et ses techniques aujourd’hui devenues un comportement normalisé, voire normatif. La violence légitime est devenue la violence routinière.

4/ L’éclatement pensé de la scène politique. Avant même que le président Emmanuel Macron ne soit élu, en 2017, la technique utilisée par son camp était de favoriser l’affrontement des deux grandes familles politiques qui ont marqué l’histoire politique de la 5ème République. Débaucher les uns, intéresser les autres, jouer les antagonismes des uns contre les autres et affaiblir tout le monde. Au final, une classe politique tétanisée, qui s’ouvre en conséquence sur des extrêmes développant un discours toujours plus extrémiste, radical et radicalement exacerbé.

Tout pays connaît ses difficultés et ses contraintes mais toute politique dépend de celles et ceux qui la conçoivent et la mettent en règle, puis en place. Depuis 10 ans et avec les mutations du monde et les évolutions de ses enjeux, les histoires nationales s’accélèrent mais les pouvoirs politiques essaient de s’adapter aux réalités ; en France, depuis Jacques Chirac, le pays a connu des politiques aussi différentes que celles des mandats Sarkozy et Hollande, mais les deux tentaient quand même la retenue et œuvraient à maintenir la place du pays dans le monde.

Aujourd’hui, les équipes entourant Emmanuel Macron ne sont pas réputées pour leur expérience et leur « maturité », encore moins pour leur propension à se mettre en doute et consulter. Le système actuel installé en France devient un accélérateur de l’Histoire, son arrogance s’étend et devient la règle et les règles de bienséance et de bienveillance ont disparu.

Le résultat est qu’aujourd’hui en France, le chaos règne, et qu’en Afrique, le modèle français ne fait plus rêver, et les jeunesses africaines se cherchent d’autres modèles, ou un syncrétisme de modèles à installer chez elles. Cela a abouti à ce rejet de l’ancien colonisateur que nous vivons actuellement, et qui ne semble en être qu’à ses débuts. Et c’est quand même bien dommage pour le pays des Lumières qui s’éloigne de la démocratie qu’il sut inventer avant qu’il n’en oublie le fonctionnement.

Aziz Boucetta

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