(Billet 943) – Education, santé, Etat social… menacés par le manque de politique

(Billet 943) – Education, santé, Etat social… menacés par le manque de politique

Quand on parle du Maroc de demain, on oublie souvent que ce Maroc de demain, ce sont aussi et surtout les Marocains de demain. Et les Marocains de demain sont les élèves, les apprenants d’aujourd’hui. C’est donc par la politique éducative menée au présent que se conjuguera ce Maroc que nous voulons dans le futur. Or, le moins que l’on puisse dire est que cette éducation pose encore problème… au même titre que la santé et, plus généralement, l’Etat social.

… et pourtant, l’éducation nationale est placée entre les mains de celui qui fut président de Commission spéciale sur le modèle de développement, Chakib Benmoussa, actuel ministre de l’Education nationale, et Abdellatif Miraoui pour l’enseignement supérieur et lui aussi ancien membre de la même Commission. Personne ne peut contester que ces deux ministres font le travail, appliquent ce qui a été recommandé dans le Nouveau modèle de développement, se sont entourés des meilleures compétences…

Alors, pourquoi ces grèves ces manifestations, ces marches, cette année scolaire hypothéquée pour nos jeunes ? Pourquoi cette incompréhension entre le ministère et les enseignants et syndicats d’enseignants ? la réponse est très simple, elle consiste dans l’absence de politique.

En effet, M. Benmoussa, en dépit de sa coloration RNI, est et demeure un technocrate, qui a exercé d’aussi éminentes que nombreuses fonctions technocratiques, de ministre de l’Intérieur à président du CESE, d’ambassadeur en France à président de la CSMD. Cela fait de lui une des très rares personnes à maîtriser pratiquement l’ensemble des grands dossiers du pays, sur tous les plans… mais cela ne fait pas de lui un politique, qui sait parler en politique et « faire de la politique ».

En face, le corps enseignant, particulièrement cabossé ces dernières années par les différentes réformes, les incertitudes conséquentes, les allers-retours dans les décisions, les objectifs et les modalités retenues pour les atteindre, avant qu’elles ne changent, la question épineuse des contractuels, qui ne le sont plus mais craignent toujours de le redevenir, revendiquant la qualité de fonctionnaires et craignant celle de « ressources humaines »… Au total, ce sont environ 300.000 personnes qui constituent ce corps enseignant, puissamment politisé et suffisamment syndiqué.

Pour parler à ce corps social, il faut savoir se départir quelque peu de la technicité pure et verser dans le verbe, l’art oratoire, la manière de convaincre, et la faculté d’instaurer une confiance perdue. Or, les enseignants ont le sentiment que quelque chose dans cette réforme ne se fait pas comme il se doit et que nombre de leurs revendications ne sont pas satisfaites dans le décret portant statut des enseignants adopté en Conseil de gouvernement.

En un mot comme en cent et de toute évidence, le problème de la confiance se pose. Le ministre et son ministère travaillent au sein des institutions, formulent les décisions communément arrêtées en galimatias juridique, ciblent l’éducation de toute une génération, et de celles d’après. Bref, ils voient grand et loin, et ils ont raison. Pour leur part, les enseignants s’engagent ou sont engagés dans une profession appelée à être refondée de fond en comble, et sont inquiets pour leurs avenirs personnels. Et ils ont tout aussi raison.

Le travail abattu par Chakib Benmoussa et ses équipes est impressionnant, cohérent, réalisable et prometteur, mais il pèche par manque de communication politique et de posture politicienne. En face d’eux, des syndicats irascibles, méfiants, combattifs, qui ont besoin de satisfaire leurs troupes, même au prix d’un chouiya de populisme. En pareil cas, c’est le chef du gouvernement, en principe le premier responsable politique et chef de l’administration, qui doit monter au créneau, apporter ses garanties et convaincre les récalcitrants. Or, là aussi, au niveau de la présidence du gouvernement et de la majorité, il n’y a pas de politique, mais un vide extraordinaire de consistance idéologique.

Et c’est le problème… car tant pour la réforme de l’éducation que pour l’instauration de l’Etat social ou encore la refonte de la santé, les décisions technocratiques ne suffiront pas si elles ne sont pas soutenues et accompagnées par une posture politique. A défaut, les manifestations se poursuivront pour l’éducation, les départs à l’étranger se multiplieront pour les médecins et paramédicaux, et le manque de confiance s’installera durablement pour tout le reste. Mettant en question et en souffrance l’ensemble des nécessaires réformes à mener dans ce pays.

Aziz Akhannouch doit encore comprendre qu’être chef de la majorité et du gouvernement implique un engagement personnel, nécessite de s’exposer, de s’exprimer, d’expliquer, de s’expliquer, et de ne pas laisser ses ministres technocrates croiser le fer directement avec la population ou indirectement à travers les corps intermédiaires qui remuent encore.

Aziz Boucetta

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