(Billet 958) – Géopolitique sans politique n’est que ruine de l'âme

(Billet 958) – Géopolitique sans politique n’est que ruine de l'âme

Dans ce monde actuel qui est le nôtre, les lignes bougent et les alliances se font et se défont, se déforment pour se réformer, sous d’autres aspects et selon les intérêts nouveaux. Les pays en ont conscience et agissent en conséquence, et le Maroc n’est pas en reste, désormais lucide quant à l’importance de sa position géographique, de son positionnement géostratégique, de sa posture géopolitique et de sa stature morale et diplomatique en Afrique et en terre arabe. Mais…

… mais dans géopolitique, il y a politique et dans géostratégie, il y a stratégie. Si la stratégie revient au chef de l’Etat, sa vision prospective et son aura personnelle, la politique est l’apanage d’un gouvernement, et bien évidemment de son chef, qui doit procurer en interne les éléments de puissance à faire valoir en externe. Et c’est là le problème du Maroc, en l’occurrence l’écart entre la pertinence et la portée d’une vision royale stratégique à long terme et les défaillances et manquements d’une politique gouvernementale à court et moyen terme.

Observons le gouvernement Akhannouch… Quels sont les ministres dont l’action peut prévaloir à l’extérieur ? La diplomatie, de plus en plus visible en attendant d’être plus audible, s’impose néanmoins progressivement en s’étendant, dans la région sahélienne et méditerranéenne d’abord, puis sur le continent et dans le monde arabe ; la sécurité, donc le ministère de l’Intérieur, qui est de plus en plus sollicitée par nos partenaires et alliés, proches ou lointains ; le champ religieux, avec la promotion de l’institution de la commanderie des croyants pour porter la voix de l’islam modéré que nous portons… Que des ministères de souveraineté qui ne dépendent aucunement de l’autorité d’un chef du gouvernement par ailleurs bien en mal de l’imposer à des ministres qui ne lui doivent rien.

En dehors de cela, et hors les ministères détenus par les deux autres chefs de partis que sont Nizar Baraka et Abdellatif Ouahbi, de la grisaille… soit en raison de la médiocrité de leurs titulaires soit pour les coups, bas ou fourrés, assénés par les équipes d’un RNI dominateur qui ne peut souffrir un ministre puisse luire sans lui nuire.

Prenons l’Afrique… Le roi Mohammed VI a effectué depuis son accession au trône une cinquantaine de voyages qui l’ont mené dans une trentaine de pays sur le continent, commençant par l’Afrique de l’ouest francophone puis s’étendant en Afrique de l’Est, en Afrique australe, centrale… Plus d’un millier d’accords de partenariats ont été conclus lors de ces visites. Mais notre classe politique ne semble pas vouloir se déranger pour accompagner, soutenir, supporter et prolonger cet effort. Très peu de ministres vont vers les pays de notre continent, hors des cérémonies officielles ou des grand-messes multilatérales, et même le ministre des Affaires étrangères ne semble pas avoir une inébranlable volonté de se déplacer dans ces pays, pour affermir et affirmer les relations. Les autres ministres ne sont pas plus présents sur le continent.  Et cela, un jour, pourrait avoir un prix.

Et quand, d’aventure, on s’enquiert des raisons de la puissante réticence ministérielle à se rendre dans ces pays, la réponse est invariable, tête levée vers le haut, timbre de voix vers le bas, pour indiquer qu’ils n’en ont pas reçu le feu vert ! Mais le résultat est le même ; à défaut de les entretenir, les relations se distendent et tout est à refaire.

La gouvernance… elle est universellement faite de décisions politiques, de moyens techniques et pratiques, et de la communication produite autour. Or, si l’on excepte les grands et nombreux projets royaux, le gouvernement Akhannouch agit comme une équipe de cabinards, prenant leurs décisions dans des bureaux feutrés, décisions inspirées de rapports achetés à prix d’or à de prospères cabinets de conseil, décisions appliquées souvent sans concertation avec les concernés, et affligées d’une communication hoqueteuse. Ainsi, en guise d’exemples non exhaustifs, de cette décision sur la digitalisation des marchés publics, qui suscite l’indignation des soumissionnaires souvent confrontés à des pannes du site dédié, ou encore de la numérisation des services d’urbanisme, qui fonctionne avec un bonheur inégal… Ou encore du fameux Etat social, avec un nombre croissant de Ramedistes pas encore « AMOisés »… ou la crise des enseignants, avec lesquels tout contact est rompu, le gouvernement choisissant de disserter avec des syndicats peu, ou pas, représentatifs… ou ces rumeurs insistantes d’enrichissement illicite triomphant ou de corruption galopante… ou, plus préoccupant, comme l’affirme l’économiste Mohamed Benmoussa (ancien membre de la Commission Benmoussa), la non-sincérité des chiffres clés du budget 2024 (et des précédents)…

Et tout cela réduit en interne la portée géopolitique promue à l’extérieur. A l’international, le Maroc se voit grand, mais il continue à être petit sur son territoire.

Un gouvernement doit être fort et présent pour imprimer sa marque à la société. Ce n’est pas précisément le cas de l’actuel cabinet qui semble avoir oublié les recommandations du Nouveau modèle de développement ; et en les oubliant, il a fait passer à la trappe les objectifs de croissance préconisés par la Commission Benmoussa, avec le risque de maintenir le royaume dans la trappe des revenus intermédiaires.

Un PIB étique de 130 milliards de dollars ne permet pas de peser sur la scène internationale. Pour cela, il faut être plus riche et plus puissant, ce qui nécessite de créer de la richesse, elle-même produite par les entreprises et l’emploi pour tous, ou le maximum. Le gouvernement Akhannouch, qui pèche par manque de posture politique, n’en prend pas le chemin et, ce faisant, ou plutôt en ne faisant pas, il obère les ambitions géopolitiques du royaume.

Aziz Boucetta

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