(Billet 959) – La triangulaire ’’Maroc, Emirats Arabes Unis, Afrique’’ et la France
Quelle est la relation entre les Emirats Arabes Unis, la France et l’Afrique, ou la partie franco-occidentale de l’Afrique ? Le Maroc. Pourquoi le Maroc ? Parce que les Emirats Arabes Unis n’ont pas une forte pénétration en Afrique francophone, qu’ils ciblent la façade atlantique du continent, que la France en a été boutée, et parce que ces Etats d’Afrique sont en quête d’investissements et de sécurité, que le Maroc, avec les Emirats, un peu moins la France, peuvent leur proposer.
Dans cette région MENA, et hors les massacres en cours à Gaza, d’autres faits se produisent, à bas bruit certes mais ils se produisent. En ce qui concerne le Maroc, un extraordinaire partenariat bilatéral et amical, économique et technique, mais surtout sonnant et trébuchant, est en voie de finalisation avec les Emirats Arabes Unis (EAU) ; un rapprochement s’esquisse par ailleurs entre Paris et Rabat, et la forte présence et implication du Maroc dans le Sahel se poursuit, même si elles ne trouvent pas leur prolongements dans les médias.
1/ Le partenariat global Maroc-EAU. On le sait, le roi était en terres émiraties et, avec son homologue Mohamed Ben Zayed, il a présidé à la signature de plusieurs partenariats et memoranda, à finaliser dans les trois mois (photo). Dans le désordre, infrastructures, LGV, Etat social, constructions et reconstruction, partenariats industriels qui pourraient, une fois la guerre finie, devenir triangulaires avec Israël, Maroc et EAU étant signataires en 2020 d'accords de diverses natures avec l'Etat hébreu. Les accords militaires contractés entre Tel Aviv et Rabat peuvent en effet intéresser les Emirats, déjà en coopération industrielle militaire depuis plusieurs années avec Israël.
Nombre d’autres projets sont inclus dans ces partenariats, et essentiellement en ce qui concerne la mise à niveau des infrastructures sportives et de transport, comme la LGV Kenitra-Marrakech, ce qui pourrait susciter l’intérêt des Français, lesquels viennent d’être écartés du marché de remplacement des satellites d’observation et de surveillance Mohammed VI A et B (au profit, semble-t-il, des Israéliens, mais c’était avant le 7 octobre…) et qui n’ont pas été non plus retenus pour la station de dessalement de Casablanca.
2/ Le rapprochement France-Maroc. Ce ne sera plus comme avant, jamais, mais il y aura un après-crise entre Rabat et Paris, partant du principe que les Etats n’ont ni amis ni ennemis durables mais des intérêts permanents. Plusieurs éléments ont concouru à cet éloignement entre les deux pays, et la brouille fut brutale, profonde et longue. Les visites mutuelles entre responsables étaient suspendues, le Maroc n’avait pas d’ambassadeur à Paris durant de longs mois voire des années si l’on considère passage de Mohamed Benchaâboun comme une parenthèse, et l’ambassadeur de France au Maroc fut longtemps ostracisé et isolé (on peut néanmoins lui savoir gré de ne pas jamais avoir désespéré).
Et puis, les relations ont commencé à reprendre des couleurs à la fin de l’été 2023, jusqu’à cette annonce de la visite du directeur général de la police française au Maroc (compagnon d'une des plus hautes magistrates de France, mais cela reste un détail), où il a été reçu par son homologue Abdellatif Hammouchi (photo), une rencontre impensable voilà juste quelques semaines, et encore plus il y a quelques mois. La sécurisation des JO de 2024 à Paris a été évoquée, et sans doute même qu’elle est l’une des raisons principales du voyage de sécuritaire français, même si les médias français n’en pipent mot.
La France est mise sous pression par le Maroc pour faire évoluer sa position sur la souveraineté du Maroc sur son Sahara, mais elle aurait posé ses conditions, dont la coopération sécuritaire et la mise en place d’une « triangulaire » Maroc-France-Afrique.
3/ La coopération franco-marocaine en Afrique. Le Maroc et les EAU viennent de signer toute une série de conventions et de déclarations d’intentions sur des chantiers ou des projets auxquels la France en crise et son président en peine souhaiteraient être intégrés. Parmi ces projets figurent, en bonne place, ceux qui impliquent l’Afrique. On se souvient de cette stratégie afro-atlantiste déclinée par le roi Mohammed VI en novembre dernier ; elle consiste globalement à développer la façade atlantique du continent africain, en collaboration avec les Etats littoraux concernés et intéressés (le Gazoduc Nigéria-Maroc en est le projet phare) et elle concerne aussi le désenclavement des Etats sahéliens par leur connexion aux pays voisins. Cela nécessite des capitaux et du savoir-faire, et la France et les EAU disposent des deux, mais pour des raisons différentes, ces deux pays sont coupés de l’Afrique francophone, atlantique ou sahélienne, région où le Maroc est très présent. Et influent.
Mais la crise franco-marocaine, quant à elle, perdure jusqu’à preuve du contraire, la preuve étant la reconnaissance française de sa responsabilité historique et donc de la marocanité du Sahara ; dans l’intervalle, la France est en sérieuse difficulté dans ses anciennes colonies africaines et le Maroc s’est rapproché avec nombre d’autres pays avec lesquels il peut agir sur son continent, Etats-Unis, Israël (les choses sont aujourd’hui suspendues, mais elles devraient reprendre après la fin des massacres et du gouvernement Netanyahou), l’Espagne et l’Allemagne, et d’autres encore…
La question est de savoir si, aujourd’hui, il est encore de l’intérêt du Maroc de collaborer avec la France macronienne auprès d’Etats sahéliens et de leurs populations, désormais en éveil. La France est durablement stigmatisée dans cette zone africaine, alors qu’Israël n’est pas définitivement carbonisé ; la mémoire des hommes s’efface toujours respectueusement devant leurs intérêts… Il s’agit pour le Maroc de bien calculer les siens. Un dicton arabe bien connu dit que « dkhoul lhammam machi bhal khroujou ».
Aziz Boucetta
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