(Billet 963) – Les chefs de la CGEM et du gouvernement ne devraient pas dire ça…

(Billet 963) – Les chefs de la CGEM et du gouvernement ne devraient pas dire ça…

On dit que le capital est lâche… et même quand il se lâche, il le reste. La preuve vient d’en être donnée par le patron de la CGEM qui a décidé de vivre dangereusement quelques instants, avant de rentrer dans le rang quand le chef du gouvernement, courroucé, l’eut indirectement invité à le faire. Cette affaire est comme une pierre qu’on jette dans l’eau, qui fait un petit bruit, quelques clapotis, des ondes, avant que tout rendre dans l’ordre.

Vendredi 15 décembre, Chakib Alj, président de la CGEM, tient une conférence de presse. Ce jour-là, il a décidé de laisser transpirer une partie de la colère du patronat contre le PLF 2024, revenant sur plusieurs points de discorde, comme la TVA et sa neutralité tant voulue et toujours attendue, la protection de l’industrie locale, l’intégration de l’informel, la réforme de la législation sur le travail, et autres dispositions conduisant à une meilleure attractivité du royaume pour les investisseurs. Le patron des patrons est-il dans son rôle en disant cela et en critiquant la lenteur du gouvernement ? Incontestablement oui, surtout quand on sait les nombreuses réserves de membres éminents du patronat, tout au long du processus d’adoption du projet de loi de finances 2024 ; des réserves nombreuses, variées, mais prudemment discrètes car il n’est jamais bon de contrarier le chef du gouvernement également ex-patron mais toujours faiseur de rois à la CGEM.

Ce que la Confédération reproche au gouvernement, en quelques mots, est le manque de concertation et de consultation lors de l’élaboration du PLF. Parmi les points les plus contestés figure cette curieuse, étrange et inquiétante disposition sur la solidarité des entrepreneurs en matière de TVA collectée et non versée. Cela rappelle la disposition figurant dans la loi de finances 2023 sur la retenue à la source des auto-entrepreneurs. Pour le gouvernement, la vie est simple : quelques fraudeurs et c’est toute la communauté des entrepreneurs et auto-entrepreneurs qu’on stigmatise, selon le tout nouveau concept de « présomption de culpabilité ».

En 2023 et pour 2024, pour les auto-entrepreneurs et les dirigeants d’entreprise, le principe demeure en effet le même : la mauvaise foi des entrepreneurs et leur propension à enjamber la loi ! Et en 2023 et pour 2024, le manque de concertation et la faiblesse de la consultation sont devenue la marque distinctive de ce gouvernement, dirigé par un entrepreneur, Aziz Akhannouch, « secondé » par un autre entrepreneur, Mohcine Jazouli, les deux renforcés par le « grand caissier » Fouzi Lekjaâ, qui a du coffre.

Mardi 19 décembre, à la Chambre des conseillers, le chef du gouvernement, piqué au vif par ces patrons qui osent protester et contester sa politique, assène sa réponse, dans un style anaphorique plutôt inhabituel chez lui. Aziz Akhannouch a rappelé aux patrons ce que le gouvernement a fait pour eux, même dans les circonstances financières difficiles du post-Covid ou de la guerre en Ukraine. Devait-il dire cela ? Oui, car telles sont les règles du jeu politique où les attaques répondent aux attaques, et non, car en soutenant l’entreprise, le gouvernement est tout simplement dans son rôle et que supporter l’entreprise, c’est porter la croissance vers le haut. De plus, M. Akhannouch a répondu à côté…

En effet, Chakib Alj a parlé d’avenir de la TVA, de l’entreprise, de l’informel, et Aziz Akhannouch lui a répondu en somme de ne pas mordre la main qui lui a accordé tant de faveurs par le passé. Là où, en revanche, le président de la CGEM a failli, c’est qu’il s’est rendu en rase campagne, sans insister, sans persister, se soumettant au grondement du chef du gouvernement. Il est vrai que ce dernier a le bras long, très long, au sein de la confédération, et le binôme présidentiel sait ce qu’il lui doit en étant en place et sait ce qu’il risque en remuant trop à cette place. La charge du chef du gouvernement était calme, mais virulente, face à des élus CGEM dans leurs petits souliers et à un Mouhcine Jazouli (lui aussi ancien CGEM) souriant d’aise. Le message a été reçu, et bien reçu, au besoin relayé en interne à la CGEM.

En effet, 48 heures après ce qui a été à juste titre qualifié de dur recadrage de M. Akhannouch, M. Alj a effectué un rude rétropédalage ; c’était lors du conseil d’administration, auquel devait être présent Fouzi Lekjaâ mais auquel il n’a finalement pas assisté... Un communiqué de la CGEM affirme que « les recommandations » formulées lors de la conférence de presse du 15 décembre « n’ont en aucun cas vocation à discréditer le travail indéniable entrepris par le gouvernement en faveur des entreprises marocaines et du secteur privé (…). La CGEM reconnaît et salue les efforts engagés, depuis la prise de fonction du gouvernement, pour redynamiser le secteur privé dans une conjoncture difficile, et pour continuer à le soutenir à travers des mesures concrètes, rapides et efficaces, afin de stimuler le rôle de l’entreprise dans la dynamique socio-économique positive que connaît notre pays ». Voilà une maison CGEM bien tenue ! En vieux français, on appelle cela battre sa coulpe.

Ce n’est jamais une bonne chose de « museler » la contestation, surtout venant de l’entreprise, en principe créatrice de richesse et pourvoyeuse d’emplois. Un pays marche par la concertation et aussi la dialectique, et toute confrontation d’idées est toujours utile et bienvenue. Mais le gouvernement, par la voix de son chef, toujours dans cette prise de parole à la Chambre des conseillers, « sait ce qu’il doit faire et comment le faire ».

Sans doute, oui, mais avec un taux de croissance de 1,3% en 2022, environ 2,8% en 2023 et une prévision de 3,2% en 2024, on peut en douter. L’humilité et l’acceptation des divergences et des critiques devraient reprendre leur place dans la gestion institutionnelle.

Aziz Boucetta

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