(Billet 978) – CAN et Mondial sans citoyens ni maires sont risqués
Lorsqu’un pays est désigné pour organiser et abriter une coupe du monde de football, il doit se préparer, et de préférence longtemps à l’avance. Un Mondial de foot est un extraordinaire acte de promotion du pays, de ses villes et traditions, de son économie et tourisme. L’erreur serait de considérer que la préparation ne doit être que matérielle. Elle est surtout d’ordre politique et moral !
Construire des stades nouveaux, en mettre d’autres aux normes, les relier par un réseau d’infrastructures de toutes natures, routières et autoroutières, portuaires et aéroportuaires… tout cela est bien, mais reste insuffisant. Un Mondial est une grand-messe… mondiale. Les cultures se rencontrent et des traditions se croisent. Il importe donc d’avoir, avant tout et par-dessus tout, en plus des inévitables infrastructures et installations, une population apte à accueillir les populations du monde entier, ou du moins de son quart, puisque 48 équipes seront attendues sur notre sol. Dans à peine 6 ans.
On a coutume de dire que cinq ou dix ans, dans la vie d’un pays, ce n’est pas grand-chose. Raison de plus pour aller vite, en répondant d’ores et déjà à ces questions. Avons-nous une population assez civique pour bien accueillir ses centaines de milliers, voire millions d’hôtes ? Avons-nous des structures institutionnelles urbaines au niveau requis pour faire honneur au pays ?
En 2025 et en 2030, nous recevrons des dizaines de nationalités, donc nous serons confrontés à d’autres traditions, d’autres manières d’être et de vivre. Le concept de vivre-ensemble, si cher aux Marocains, devra quand même être affirmé et affiné, dans le sens de l’acceptation des us et coutumes de l’Autre, des autres. Si cela ne devrait pas poser de problèmes majeurs, le comportement civique et l’organisation globale, si.
Pour le civisme, respecter les règles de bienséance, respecter le code de la circulation, respecter les règlementations des stades et autres fan-zones, respecter les spectatrices étrangères en vadrouille nocturne (important !) … tout cela participe d’une sensibilisation citoyenne à un civisme qui reste très largement perfectible sous nos cieux Et c’est d’autant plus préoccupant que cette sensibilisation à la citoyenneté et au civisme demeure centrale, surtout qu’avec nous, en 2030,il y aura le duo Espagne-Portugal, bien en avance sur nous sur bien des aspects citoyens et civiques.
Pour l’organisation globale, disposer de personnels d’accueil dans les enceintes sportives ou para-sportives, dans les transports publics, dans les centres de santé, dans les administrations publiques … qui soient polyglottes, disposer de structures sanitaires de qualité (ambulances, dispensaires…), hygiène et propreté des villes sélectionnées, dispositifs de gestion des flux de spectateurs, lesquels entre les matchs deviennent touristes en groupes et en grappes…
Et n’oublions pas que si, jusqu’à une date récente, les décisions de candidater pour de telles compétitions étaient uniquement étatiques, sans consultation ni adhésion préalables des populations, et sans débat public, aujourd’hui, le citoyen et ses représentants élus ont intégré le cercle des décideurs. Et c’est ainsi, par exemple, que si Paris va accueillir les JO de 2024, c’est parce que Boston, Budapest, Rome et Hambourg s’étaient retirés, sur décisions municipales. Et n’oublions pas que chez nous, d’ores et déjà, des voix s’élèvent pour contester l’organisation du Mondial et ses 5 milliards de dollars estimés mis en perspective des besoins actuels d’une population présentée comme nécessiteuse…
De deux choses l’une… ou le Maroc s’appuie, comme souvent, presque toujours, sur la hiérarchie et l’organigramme du ministère de l’Intérieur, ou il consolide le rôle et sanctuarise la fonction de maire. Il est évident que la seconde solution est la meilleure car elle présente le double avantage de maintenir le rôle des services de l’Intérieur tout en plaçant en interface avec la population des gens élus.
Il reste à solutionner le problème de ces élus communaux, de ces édiles. Jusque-là, les partis politiques ont mis en avant des personnalités en vogue et en verve dans leurs propres rangs, et pour les dernières élections, les femmes furent à l’honneur pour occuper les éminentes fonctions de maires des trois plus grandes villes du royaume. Mais observons ce que se produit aujourd’hui : des femmes maires plutôt discrètes quant à leur présence dans leurs villes respectives, et des présidents de conseil en délicatesse avec la justice.
Cela doit changer, du moins peut-on l’espérer, pour les prochaines élections, lors desquelles nos partis politiques seraient avisés, bien avisés, d’investir des profils nouveaux, jeunes ou pas, femmes ou non, cadres anciens ou de recrutement récent… mais des profils qui auraient l’adhésion et la caution de la population, qui bénéficieraient de la confiance et de l’engagement de l’autorité locale et/ou centrale, et qui afficheraient des compétences connues et des expériences reconnues.
Une fois passées les joies et les émotions liées aux attributions de ces deux grandes compétitions mondiales, le Maroc doit se rendre à l’évidence, et d’abord que ces événements ne sont pas confiés à un Etat, mais à un pays, donc à une population. L’Etat s’organise, dépense, prévoit et programme, mais c’est la population qui reçoit, qui anime, qui sert. Souvenons-nous des Qataris en 2022, des Russes en 2018, des Brésiliens (ah les Brésiliens) en 2014, des Sud-Africains et leur vuvuzuelas en 2010… Les spectacles étaient aussi bien dans les stades que, surtout, au dehors !
Le Maroc devra se rendre à l’évidence également, quant au fait que nous n’avons jamais organisé de compétition sportive mondiale ou continentale d’envergure. Jamais de Mondial et une CAN qui remonte à 1988, soit plus d’un tiers de siècle ! Ne prenons pas à la légère ce double honneur fait au Maroc par le continent et le monde car le continent et le monde nous guetterons puis nous observerons, pour la qualité des infrastructures, dans les stades et dans l’ambiance et organisation générales.
Aziz Boucetta
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