(Billet 981) - Cet Occident qui se fissure et se craquèle
L’Histoire connaît des phases d’accélération subite, à l’image de celle que le monde vit aujourd’hui. Et ce que le monde vit aujourd’hui est cet incroyable aveuglement, non pas de l’Occident, mais de ses classes dirigeantes ou, pour être plus précis, de ses principaux responsables. Nous en sommes à observer un début de génocide qui se produit au Moyen-Orient, avec non seulement l’assentiment de ces personnages, mais surtout ce qui ressemble bien à de la complicité agissante.
Jusque-là, les abjections qui se déroulaient et se déroulent encore sous nos yeux étaient diversement qualifiés, selon les camps, en « génocide par Israël », « crime de guerre », « crime contre l’humanité » ou, à l’inverse « génocide par le Hamas », « droit d’Israël à se défendre » … Avec la récente décision de la Cour Internationale de Justice (CIJ), les choses sont plus claires. Alors que Joe Biden décrivait la plainte de l’Afrique du Sud de « sans fondement » et que Rishi Sunak parlait d’un « non-sens », voilà les juges de la Cour qui, à 15 contre 2, disent le contraire.
Le fameux « ordre international », enfant de la Seconde Guerre mondiale et conçu par ses vainqueurs, se retourne contre ses géniteurs. La CIJ, globalement, à travers ses remarques et conclusions, conclut à une plausibilité de génocide à Gaza en appelant Israël à se retenir de commettre des actes qui seraient potentiellement génocidaires. Mais les concepteurs de la convention de 1948 sur le génocide introduisent le concept, et la condition, de l’intentionnalité de l’acte, dont la preuve, si elle est apportée, prendrait des années. Et elle ne le sera pas, car si l’esprit de la loi ne prime pas sur sa lettre, il n’en est pas pour autant déterminant pour la conviction. Et les juges de la CIJ ont été le plus loin qu’ils pouvaient, exprimant leur conviction.
Il est assez édifiant de constater que le monde entier attendait l’avis de la CIJ et les manifestations de « joie », les déclarations de juristes et analystes, l’embarras visible des médias occidentaux à rapporter l’information, la fureur de Netanyahou et de son ministre Ben Gvir et le mutisme des responsables européens de premier plan confirment le caractère potentiellement génocidaire de l’action israélienne à Gaza.
Notons également ce fait important. Si l’Afrique du Sud a marqué les esprits et les cœurs par son audacieuse initiative judiciaire (Israël est intouchable), l’écrasante majorité des Etats du monde, moins courageux mais engagés, se sont félicités des conclusions des juges de La Haye. Prétoria, à l’avenir, aura des alliés et d’autres initiatives se libéreront. Les Etats-Unis feront moins peur, les Européens seront plus insignifiants et Israël paraîtra de plus en plus sous son vrai jour, un Etat juif, pour les Juifs, excluant les autres religions, toutes les autres religions, appuyé sur une société altérée, collectivement traumatisée et apeurée par des dirigeants criminogènes.
En parallèle à la CIJ, d’autres organes multilatéraux tournent le dos maintenant au bloc occidental et à l’inconditionnalité de son soutien à Israël. D’abord, le plus important… l’ONU. Si le Conseil de sécurité est entravé par les vetos américains, l’Assemblée générale a condamné les massacres de Gaza, appelé à un cessez-le-feu et montré l’isolement international des Etats-Unis qui multiplient les vetos aux différentes résolutions. Quant au secrétaire général Antonio Guterres, généralement conciliant avec les Etats-Unis, il n’a pas de mots assez durs pour qualifier ce qui se déroule dans la Bande.
Les Russes et les Chinois ont manqué une occasion de se hisser dans la hiérarchie des décideurs du monde. Les armes russes et l’économie chinoise ne sont pas suffisantes pour asseoir un leadership mondial. L’Afrique du Sud, puissance moyenne, a osé ; Chine et Russie observent et perdent l’avantage d’une aura ascendante. Mais les dirigeants occidentaux leur viennent quand même en secours, en s’enfonçant encore plus à chaque occasion…
Samedi 27 janvier, le lendemain de la publication de la décision de la CIJ, les services israéliens lancent une accusation contre l’Office des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, ou UNRWA, selon laquelle des employés de cet Office auraient participé à l’attaque du 7 octobre. Il n’en fallait pas plus, comme par exemple une enquête ou une vérification des accusations d’une partie du conflit contre une autre, pour qu’Etats-Unis, Australie, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, France, Pays-Bas, et Finlande annoncent suspendre leurs financements à l’UNRWA, réduisant d’autant les maigres aides qui ont invariablement toutes les peines à parvenir aux Palestiniens de Gaza. Empressement dans l’action, aucune base juridique autre que l’avis d’un service de sécurité partie du conflit, et donc faute politique et morale.
Notons également les larmes du directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus alors qu’il évoquait la situation à Gaza lors de discussions à l’OMS, ou la retenue de la Norvège et de l’Irlande pour bloquer leurs versements à l’UNRWA, ou la position équilibrée de l’Espagne ou encore la lente bascule de l’opinion publique en Europe et aux Etats-Unis, dans les enceintes institutionnelles, les médias ou le monde universitaire, et où les soutiens d’Israël montrent une rare violence dans leurs actions et réactions. Excommunications, limogeages, menaces, appel à la vindicte publique… A défaut de convaincre du bien-fondé de l’agression israélienne contre les civils, on effraie et on terrorise.
Après presque 4 mois de massacres, près de 30.000 morts et des dizaines de milliers de blessés, le bloc occidental donne le sentiment de la faiblesse de ses positions et montre une fissuration de son front interne. Et plus les dirigeants israéliens montent en surenchère, moins le soutien occidental à Tel Aviv est justifiable, moins il est tenable, et plus il est condamnable et friable. Il s'en relèvera certainement, mais il sera rapiécé, raccommodé, affaibli, fissuré.
On ne peut espérer une quelconque humanité des dirigeants israéliens mais on peut en revanche attendre une prise de conscience des dirigeants occidentaux. Joe Biden, Rishi Sunak, Emmanuel Macron, Justin Trudeau et les autres… quand donc comprendront-ils le sens de l’Histoire, quand donc admettront-ils que leur silence, forment une complicité qui, un jour, pourrait leur être reprochée ?
Aziz Boucetta
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