(Billet 986) – La corruption prospère, dans l’indifférence générale

(Billet 986) – La corruption prospère, dans l’indifférence générale

Il y a des choses qui se portent bien, très bien même, au Maroc, et parmi elles la corruption. Le constat est établi par l’ONG Transparency International, confirmé par le Baromètre arabe et souligné par l’organisme local, l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC, en plus court). Et puis, la corruption est surtout vécue par les populations… La bonne nouvelle est que la justice marocaine commence à s’en se préoccuper sérieusement, contrairement au gouvernement …

… car depuis quelques mois, et surtout semaines, l’actualité est rythmée par des auditions, engagement de poursuites, incarcérations en préventive, enquêtes de tous genres et de toutes natures, sur tous types de profils. Avec de grands noms de la politique et des affaires. Est-ce réellement une bonne nouvelle ? Oui, car outre la morale et la sensibilisation, la répression semble être un moyen incontournable de mettre un frein au phénomène et un plafond à la boulimie pécuniaire de certains, de plusieurs, de nombreux, responsables.

Dans sa définition de la corruption, le législateur marocain a ratissé large. Selon la loi, la corruption est donc « le fait de solliciter ou d’agréer des offres ou promesses, de solliciter ou recevoir des dons, présents ou autres avantages pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction, ou un acte qui, bien qu’en dehors de ses attributions personnelles, est, ou a pu être facilité par sa fonction, une décision ou donner une opinion favorable ou défavorable ». C’est tellement large que le score de 38 où stagne le Maroc dans l’IPC 2023 de Transparency International en devient presque compréhensible. Car la pratique de la corruption est extensible et atteint toutes les strates de la société.

Dans son rapport 2022, l’INPPLC affirme en effet que « la persistance de la prévalence significative de la corruption et l’augmentation de la perception de celle-ci, en particulier au sein des populations en situation de pauvreté, de vulnérabilité et de marginalisation. Cela signifie que les personnes appartenant à ces catégories sont celles qui supportent le plus le fardeau de la corruption ». La corruption, en plus d’être amorale et illégale, est donc dangereuse car porteuse des germes de colères populaires. Légitimes.

Pourquoi colères ? Parce que, ajoute le même rapport de la même INPPLC, les droits dont ces populations sont privées du fait de la corruption sont « l’accès à une éducation de qualité, un logement, décent, des soins de santé et d’autres droits fondamentaux ». En gros, ce qui fait qu’un pays est sous-développé ou non et nous sommes en droit de nous en interroger quand on sait que des gens s’enrichissent indûment au détriment des droits les plus élémentaires.

Dans son guide contre la corruption, l’INPPLC (avec Bank al-Maghrib et d’autres organismes), liste les formes de corruption, et retient comme les expressions et déclinaisons les plus fréquentes du phénomène : le pot de vin, le favoritisme, le népotisme, le détournement et l’extorsion. Avec cela, et connaissant nos réalités, la corruption n’est pas près d’être éliminée, ou du moins ramenée à des niveaux acceptables.

Plus inquiétante est cette réalité que cela se produit dans un singulier et coupable silence des institutions, une quasi indifférence, aucun engagement audible et crédible, pas de débat public initié, aucune esquisse de plan ou de stratégie autre que celle qui avait été lancée en grande pompe par Abdelilah Benkirane, à quelques mois de son départ mouvementé en retraite. Cette stratégie, qui brasse bien des domaines comme la gouvernance, la prévention et autres, avait été estimée à 1,8 milliard de DH, et était pilotée en son temps par l’alors ministre de la Fonction publique, Mohamed Moubdiî, entretemps condamné et incarcéré pour… corruption !

Depuis l’arrivée du gouvernement actuel, on ne parle plus de ce phénomène dont le coût est évalué à 50 milliards de DH. 50 milliards de DH, c’est environ 3,5% du PIB, ou l’organisation du Mondial 2030, ou le financement des besoins budgétaires de l’Etat, ou de la couverture sociale universelle… Dans son programme électoral, décliné dans son opus « la voie de la confiance », le mot corruption n’est mentionné que deux fois, et encore… une des deux fois, c’est pour dire que « nous ne brandirons pas de banderoles contre la corruption pour des fins purement électoralistes. Néanmoins, nous plaiderons en faveur de mesures concrètes à déployer contre les dérives ». On hésite entre les larmes et le rire nerveux !

Et si on revient au projet de loi sur l’enrichissement illicite, retiré du parlement par le gouvernement quelques semaines après son installation en octobre 2021, on pourrait songer à une forme de complicité entre les deux institutions pour ne pas trop évoquer ce sujet si sensible. Dans une allocution au parlement, en juillet 2023, le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi a même expédié la question par une courte oraison funèbre de cette loi : « Si la loi sur l’enrichissement illicite est appliquée, comment allons-nous la conformer au principe de la présomption d’innocence prescrit par la constitution ? N’est-ce pas là une contradiction ? ». Non, c’est une coupable démission et une possible compromission.

Il aura fallu un robuste rappel royal pour réveiller les députés de leur torpeur, du moins sur le code de déontologie de leur maison. C’est un bon début, il faut juste accélérer car la corruption a la peau dure et, comme le disait l’ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane : « Ce n’est pas nous qui combattons la corruption, c’est elle qui lutte contre nous ! ». Avec de sérieuses chances de gagner !

Aziz Boucetta

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