(Billet 989) – Visas Schengen, une entorse à la dignité des Marocains

(Billet 989) – Visas Schengen, une entorse à la dignité des Marocains

La question des visas n’est toujours pas réglée et elle devrait l’être, pour le confort, le bien-être, et aussi chouiya de dignité, de nos compatriotes. La décision d’instaurer, d’imposer, un visa d’entrée sur son territoire est une décision certes souveraine, mais certaines mesures souveraines outrepassent leur but premier et se transforment en actes inamicaux à l’égard de la population concernée, consternée. Ainsi du visa Schengen…

En juillet 2023, le Canada avait changé la réglementation d’entrée sur son territoire pour les Marocain(e)s, en instaurant le système AVE, ou Autorisation de voyage électronique https://visaguide.world/online/canada-eta/. Cette procédure est ouverte aux Marocain(e)s déjà titulaires d’un visa, type classique, au cours des dix dernières années ou à ceux/celles qui disposent d’un visa d’entrée aux Etats-Unis. La mesure n’est pas totalement libérale, et reste restrictive, mais elle est considérablement allégée. Quelle raison retient donc les Européens, et essentiellement les pays entretenant de fortes relations avec le Maroc (France, Espagne, Belgique…), de procéder à un tel allègement ?

Prolégomènes. A l’ère de ce qui avait été qualifié de « migration de peuplement », l’entrée en Europe était paradoxalement libre, mais les choses ont commencé à se durcir dans les années 80, jusqu’à l’instauration du visa en 1986, avec nos « amis » Jacques Chirac et Charles Pasqua à la manœuvre. C’était le temps où l’on avait encore le droit de fouler de nos pieds les consulats devenus plus tard Schengen, avant que cela ne soit interdit et que les consulats soient remplacés par des sociétés prestataires érigées entre le demandeur « qui sollicite » le visa et le consulat « qui l’octroie ».

Aujourd’hui, l’espace Schengen s’enferme, se barricade, se « protège » des gens qui veulent y aller. Il est normal de se protéger mais appliquer cela à tout le monde, sans distinction, s’apparente à une forme de méfiance générale, de punition collective, activée et/ou renforcée au besoin par un quelconque gouvernement d’un Etat Schengen énervé qui bloque la délivrance de visas pour faire pression sur un Etat donné, comme cela s’est produit avec la France en octobre 2021. Mais de quel droit dénie-t-on aux personnes désireuses de se rendre en zone Schengen, en urgence ou par simple envie, la possibilité d’y aller à tout moment ?

Bien des années ont passé et aujourd’hui, où en sommes-nous ? Une société TLS qui ne parvient pas à faire face à l’afflux d’une demande de plus en plus importante, des délais qui s’allongent pour les rendez-vous, des décisions de refus souvent non motivées, des durées de visa décidées arbitrairement, ou au moins sans l’accord des demandeurs ou ne reflétant pas leur volonté ou leurs attentes … Ainsi, des Marocain(e)s remplissant les conditions (quel vilain mot !) se trouvent soumis à la volonté ou à l’humeur d’obscurs fonctionnaires de pays tiers, qu’ils paient pourtant, après être passés par la très désagréable contrainte d’obtenir un rendez-vous à TLS, désormais soumis aux règles d’un marché parallèle, clandestin, illégal (un rendez-vous est « acheté » entre 1.000 et 2.000 DH) !

Plus grave, les Etats Schengen décident aujourd’hui de relever les droits perçus, par eux-mêmes et par les sociétés prestataires. S’il n’est pas légitime de demander le remboursement des frais liés à une demande rejetée (condition acceptée à l’avance par le demandeur, quelle que soit le sort de la demande), il est fortement discourtois de la part de ces pays de décider cette augmentation unilatéralement, sans consultation préalable des pays concernés. Et encore plus grave, le visa devient, non seulement une « arme » diplomatique comme déjà mentionné, mais une source de collecte d’un volume gigantesque de données personnelles.

Encore une fois, il s‘agit de décisions souveraines, et comme le disait voici une quinzaine de mois le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita en conférence avec son éphémère homologue française Catherine Colonna, chaque Etat est en droit de décider ce qu’il considère bénéfique et utile pour son pays. Soit, mais alors pourquoi notre ministre ne considère pas l’utilité de prendre lui aussi une « décision souveraine », en appliquant la réciprocité aux citoyens Schengen ? Et comme les opérateurs touristiques hurleront leur douleur face à cette idée, alors que l’Etat marocain instaure également une AVE pour les ressortissants Schengen, et/ou applique des droits d’entrée sur son territoire, payables à l’arrivée sur le sol national par les Européens ? Ce ne serait que la réciproque à la taxation de Marocains pour se rendre en Europe. Et si les « Schengeniens » refusent de payer ce droit, alors qu’ils ne viennent pas car si on est désargenté au point de ne pouvoir régler 50 à 100 euros, ou si on refuse le principe en considérant qu’on entre comme chez soi, alors on devient indésirable. Des aménagements peuvent être pensés pour faciliter la procédure (paiement électronique, paiements aux consulats…). Il faudra payer, car comme on sait le gratuit est rarement respecté.

Par ailleurs, il appartiendrait à M. Bourita de réagir contre ce qu’on peut bien appeler le diktat du visa et l’imposition d’une société de droit privé pour récupérer les données personnelles de nos compatriotes, société qui a été convaincue début 2023 de filmer les demandeurs de visa à leur insu pour expédier leurs images à l’étranger (la CNDP s’est chargée de cette affaire, mais on attend toujours depuis un an les résultats, et les mesures promises mais pas prises…).

Si le Maroc, comme sa diplomatie ne cesse de le dire, est influent en Afrique, dans le monde arabe et même ailleurs, alors il lui revient de réagir à ces diktats en persuadant tous ces pays ne mener une action commune de rejet des procédures de visa par société privée interposée. Si l’Union africaine, dans son ensemble, réagit, ou si la Ligue arabe, avec tous ses membres, agit, alors les Etats Schengen pourraient revenir, et même reviendraient, à de meilleurs sentiments. Et si vraiment les consulats refusent d’ouvrir leurs portes aux demandeurs de visas, alors que le Maroc agisse et exige que le prestataire soit un privé marocain ou l’annexe d’une administration marocaine qui collecterait les données de ces demandeurs et les fournirait au consulat du pays concerné.

Résumons. Pour se rendre dans un Etat Schengen, nous devons obtenir un rendez-vous impossible dans une société privée étrangère, lui fournir toutes sortes de documents très personnels (parfois même intimes), être exposé à être filmé à son insu, souvent laisser son passeport sans savoir quand le visa sera « octroyé » (dans le cas opposé, vous êtes ‘’fiché’’ comme potentiellement indésirable), avant de partir et prendre le risque d’être refoulé à la frontière par un agent irascible. Des pratiques coloniales mises au goût du jour ! En face, les touristes étrangers viennent au Maroc sans autre document que le passeport, souvent avec très peu d’argent (tout est payé dans le pays de départ), et en relatif petit nombre, puisque plus de 50% des entrées de « touristes » sont assurés par des Marocains du monde.

Il faudra bien un jour que les Marocains, les Africains, les Arabes rejettent collectivement ces formes de domination d’un genre nouveau, qui empêchent des ressortissants solvables, réguliers ou en situation d’urgence, de se déplacer comme ils l’entendent. Cela s’appelle la dignité, et le gouvernement marocain est responsable, et aussi comptable, de notre dignité de citoyens, et pas seulement de celle de l’Etat qui, lui, se défend bien ! Comme les droits, le respect n'est jamais accordé, il s'impose.

Aziz Boucetta 

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