(Billet 997) – La Cour des comptes reste polie en examinant l’argent des partis politiques
Une démocratie sans partis politiques, c’est comme une voiture sans roues ; aux roues, il faut de l’air, et aux partis, de l’argent, et ainsi va la vie. Au Maroc, l’Etat donne de l’argent aux partis pour qu’ils puissent s’acquitter de leur mission, et la Cour des comptes vient derrière pour vérifier le bon usage, utile et régulier, de ces fonds versés sur le budget de l’Etat. Mais à quoi sert un parti politique au Maroc ?
Réponse rapide : à structurer les élections afin de pouvoir dégager une majorité, de préférence viable. Fort bien, mais encore ? Bien malin qui donnerait une réponse crédible. Dans son dernier rapport sur la gestion financière des partis, la Cour des comptes nous apprend ainsi, ou nous rappelle, que le royaume dispose de 34 formations politiques. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce n’est pas beaucoup ! L’Algérie en compte plus de 40, l’Italie aussi, l’Espagne plus de 60, 200 au Tchad, en Tunisie plus de 100, et en France presque 600 ! La tendance est donc générale, et généralement, une dizaine de partis priment et sont connus.
Au Maroc, sur les 34 partis politiques, ce sont moins d’une dizaine qui sont connus du grand public… et encore, le grand public qui s’intéresse peu ou prou à la chose politique : RNI, Istiqlal, PAM, USFP, PJD, PPS, MP et UC. Les autres servent de réceptacle à leur chef(fe) pour candidater une fois l’élection venue. Qui a déjà entendu parler du Parti de la Renaissance et de la Vertu ? du Parti du Centre social ? du parti de la Société Démocratique ? du très inactif parti de l’Action ? Personne.
Mais le problème n’est pas là ; il est dans l’apport et la contribution des partis dits connus au débat public, aux questions sociétales. A part peut-être le PPS qui, il faut le lui reconnaître, affiche des positions hardies en matière de libertés publiques et individuelles et aussi en matière de législation à fondement religieux, les autres partis existent en se taisant. Même le vénérable Istiqlal semble pusillanime à dérouler ses positions, lesquelles sont plutôt traditionalistes. Le RNI se terre et joue au sniper, et le PAM se cherche depuis sa création.
Alors à combien tournent ces partis ? La Cour des comptes nous dit que « les ressources globales déclarées par les partis politiques au titre de l’année 2022 ont atteint un montant de 152,97 MDH réparti entre le soutien de l’Etat (53%) et les ressources propres (47%) ». Le soutien de l’Etat, même formant la grosse part du financement des partis, même se chiffrant à 81 millions de DH, ne constitue pourtant pas un problème. La démocratie, aussi imparfaite soit-elle, a un coût, et même un prix. Et toujours selon la Cour des comptes, les partis politiques les plus significatifs, les plus importants, ceux qui détiennent le « pouvoir » ou ceux qui égayent l’opposition, ont tous remis leurs comptes dans les délais et les ont fait certifier, sans réserve de la Cour (sauf pour l’UC, le MP et, curieusement, l’Istiqlal qui a pourtant de bons comptables, voire experts-comptables…).
Le problème est dans l’usage fait de ce qui est qualifié de « soutien supplémentaire ». En octobre 2018, le roi Mohammed VI avait appelé à l’ « augmentation du soutien public accordé aux partis, en veillant à ce qu’ils en allouent une fraction aux compétences qu’ils mobilisent pour des missions de réflexion, d’analyse et d’innovation ». Le roi l’a dit, le gouvernement s’est exécuté… et les partis ont reçu une manne supplémentaire. Que la Cour des comptes a décortiqués.
On retrouve des montants considérables, en millions de DH, dépensés par les partis pour des recherches et études sur des sujets aussi divers que l’évaluation des politiques publiques ou de l’action des élus (RNI, 2,5 millions DH réglés), Moudawana, libertés individuelles, réforme pénale, jeunes, femmes et médias du PAM (PAM, 1 million DH réglés à un centre interne au parti), Moudawana, classe moyenne, image du parti (Istiqlal, 500 MDH réglés)… les thèmes sont passe-partout et classiques et les sociétés prestataires sont plutôt confidentielles, voire même douteuses.
Au total, les trois partis de gouvernement, plus l’USFP et le PJD, ont englouti 6,6 millions de DH déjà réglés (il en reste 15,6 à payer), dans des études et recherches attribués à des prestataires, sans recours à la concurrence, souvent en l’absence du service fait et sans production de livrables ou de rapports relatifs aux études réalisées. Et c’est la Cour des comptes qui dit cela.
Par ailleurs, les partis politiques sont censés être des creusets d’idées, des temples de propositions, sans recours à un service payant extérieur, surtout pour les thèmes retenus ; si les partis s’adjoignent des sociétés de conseil (ou présumées l’être…) pour savoir et maîtriser des sujets qu’ils sont supposés connaître, on peut légitimement s’interroger sur leur utilité. Et c’est bien là le problème…
On savait les partis politiques à l’origine des hiatus de notre démocratie, on le sait aujourd’hui encore plus. Entre des affaires de stupéfiants (auteurs présumés en jugement et en état d’arrestation), de robustes soupçons sur de grosses, très grosses sommes d’argent englouties lors des élections hors contrôle de la Cour des comptes, des infiltrations de clans et de familles aux objectifs tribaux, de directions collégiales à défaut de trouver la personne adéquate, de secrétaires généraux « éternels »… tout cela, face à une population avertie et plus avisée qu’on ne le pense, ne conduira pas le royaume sur les chemins fleuris d’une vraie démocratie représentative.
Au Maroc la politique se fait ailleurs que là où elle devrait prospérer, elle vit au sein de la société civile, qui est active, qui est une force de proposition, et qui ne coûte rien à l’Etat tout en faisant bouger les lignes et animer le débat public, qui devrait être les faits des partis. On peut donc légitimement s’inquiéter pour la participation électorale en 2026 et donc pour la légitimité de la majorité qui en sortira, à quelques années des échéances majeures de 2030.
Aziz Boucetta
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