(Billet 1218) – Discours du roi… que fera la classe politique ?

(Billet 1218) – Discours du roi… que fera la classe politique ?

Enserrée entre la population et le chef de l’Etat, la classe politique n’a pas trop le choix… Elle doit impérativement se réformer en changeant ses pratiques et aussi, idéalement, ses RH. Facile à dire, bien plus difficile à faire, si tant est que les responsables politiques aient l’intention de faire quelque chose. Mais ils le doivent car le problème vient, en grande partie, d’eux.

Le constat est d’une simplicité confondante : un roi porteur de visions à long terme dans tous les domaines (diplomatie, nouveaux métiers, protection sociale, territorialisation, …), une population ambitieuse, impatiente et désormais mobilisée, et une classe politique restée coincée dans le 20ème siècle, ses règles, ses réflexes. Or, le politique est le rouage essentiel, celui de la légifération et de l’exécution, ce qui suppose et requiert de la compétence, de l’engagement, de l’audace.

Les partis politiques au Maroc ont un très sérieux problème de RH, aggravé d’une tenace prédisposition à détenir le pouvoir et à jouir de son apparat. Cela donne des patrons éternels qui, une fois installés dans leur fauteuil de chef, n’en bougent plus, et l’argument est toujours le même… « on-n’a-pas-de-relève ! », répètent-ils tous à l’unisson, cramponnés à leurs sièges à la tête de leurs formations. Mohand Laenser a dirigé le MP durant un bon tiers de siècle, Driss Lachgar semble reparti pour un énième mandat inchallah ce week-end, le PJD a alterné ces 20 dernières années entre Abdelilah Benkirane et Saadeddine Elotmani, au RNI Aziz Akhannouch partira quand et seulement quand il le voudra, lui, seul, Nabil Benabdallah en est à son 4ème mandat, et l’Istiqlal est tellement « barakien » qu’il a fonctionné deux ans et demi sans juger nécessaire, important et urgent de tenir son congrès. Le PAM, lui, c’est l’inverse, un peu moins d’une dizaine de patrons en 15 ans, avec trois actuellement !

Comment voulez-vous qu’une jeunesse connectée, pressée, intelligente et solidement ancrée dans son siècle se reconnaisse dans une telle structuration politique désuète, surannée ? Et de fait, selon plusieurs études menées par des organismes étrangers ou marocains, ils sont moins de 5% des jeunes à adhérer à un parti politique, et une écrasante majorité de ces jeunes (et même moins jeunes) considèrent les partis politiques comme corrompus (la définition de la corruption et ses méthodes étant très larges), inefficaces, déconnectés de leurs préoccupations et intérêts. En revanche, ils sont près de 90% de ces jeunes à avoir accès à internet et aux réseaux sociaux.

Résultat logique et prévisible de ces données, Discord et GenZ ! Puis le discours de vendredi dernier 10 octobre. Et ce qu’a dit en substance le roi aux partis est d’aller remettre de l’ordre dans leurs maisons pour se préparer aux élections de l’été prochain, de communiquer, d’encadrer… en un mot comme en cent, d’être plus convaincants et, si possible, plus attirants. Le reste, territoires, justice sociale, équité, services sociaux de base… l’Intérieur s’en occupe. Ce n’est certes pas très démocratique, mais c’est pragmatique et pratique. Et tellement marocain.

Il est très important que les partis politiques se reconstruisent et recrutent car les élections de 2026 sont cruciales, et pas seulement pour le Mondial 2030. En effet, d’immenses chantiers attendent le pays : protection sociale, aménagement des zones montagneuses, littorales et rurales, dessalement et réforme agricole voire, un peu, agraire, l’emploi des jeunes par l’adéquation de la formation avec le marché du travail et, possiblement, idéalement, la mise en œuvre du Nouveau modèle de développement, largement ignoré par le gouvernement Akhannouch…

Jusque-là, l’ingénierie électorale, très ingénieuse et parfois trop, masque une réalité rude, qui est que les gens ne veulent pas voter, n’en voient pas l’utilité. En triturant les modes d’élection, on atteint un chiffre de participation de 50%, ce qui n’est pas terrible mais a le mérite de satisfaire nos gouvernants. En réalité, si on devait ramener les votes exprimés à l’effectif de la population en âge de voter, on n’atteint difficilement 25%, faisant de nos organes électifs des institutions certes légales mais pas trop légitimes. Et elles sont d’autant moins légitimes si on considère le gros bloc des députés de la nation en prison ou en jugement, une bonne quarantaine, une sorte de groupe parlementaire d’un genre nouveau ! L’ingénierie électorale sert donc de cache-misère, on masque, on enfouit les dysfonctionnements politiques et partisans.

Le roi a parlé et il a été clair pour ceux qui savent lire, les jeunes ont parlé et continuent, sans intention de s’arrêter, la société civile n’en peut plus de parler sur l’incurie de notre classe politique et de nos partis. Il devient urgent, crucial, presque vital pour la bonne tenue de ce pays que les personnels politiques se reprennent en prenant les décisions adéquates. Si le PAM et l’Istiqlal veulent avoir une chance infime d’être un peu audibles durant la prochaine campagne, il leur appartient de prendre leurs distances avec le RNI, tant qu’il est encore temps (à eux de savoir placer le curseur de leur distanciation ), il leur revient d’exclure leurs membres ripoux et leurs députés indélicats, et il leur incombe de recruter dans leurs organes de direction des cadres de valeur et de talent. Il en existe beaucoup plus qu’on ne le pense, il suffit qu’ils soient convaincus. Les autres partis, et essentiellement le PPS et le PJD, gagneraient à mettre en place un véritable langage politique et non plus seulement un discours de raison, qui plaît certes mais ne recrute pas.

Et tous les partis, tous, sans exception aucune, doivent se départir de cette logique et de cette sémantique « d’en haut ». Un parti politique doit avoir de la force et ses dirigeants de l’audace ; nos institutions sont aujourd’hui suffisamment solides et fortes pour permettre une vraie activité politique, exigée par la société toute entière, et pas uniquement les jeunes, GenZ ou pas.

Que notre classe politique agisse sur elle-même pour qu’elle puisse agir institutionnellement ! Que les ministres politiques, et leur chef, osent aller devant les médias et participent à des débats contradictoires car si on accepte l’apparat de la fonction, il faut aussi en assumer le cambouis. Autrement, la GenZ continuera et s’amplifiera, les élections prochaines se réduiront à une grosse perte d’argent et de temps, et les résidus d’espoirs restant encore s‘envoleront…

Aziz Boucetta

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