(Billet 999) – Que cette gifle réveille l’Istiqlal de sa torpeur !
Cela aurait pu être un simple fait divers, un geste malheureux, un énervement passager ou une mésentente fugace… Cela aurait pu ne pas être su du grand public ni vu par les populations… Cela aurait pu être une algarade entre deux membres d’un parti politique, et puis basta !... Mais non, c’est un dirigeant de l’Istiqlal qui a violemment giflé un député istiqlalien pour affaire les concernant. Mais le gifleur est un membre dirigeant d’un parti de gouvernement, le giflé est député du même parti et le fait que ce soit l’Istiqlal n’est pas anodin. Et ne peut passer sans effets ni conséquences.
Les faits. Après plusieurs années d’absence, le conseil national du parti de l’Istiqlal se réunit enfin, pour désigner la commission préparatoire du congrès tant attendu, qui a deux ans et demi de retard sur le calendrier interne et institutionnel. Un litige naît autour d’une question de candidature unique ou pas pour la commission préparatoire, les esprits se chauffent, le ton monte et le niveau baisse, les algarades se multiplient, leurs acteurs se rapprochent dangereusement les uns des autres… et l’inacceptable se produit. Le membre du comité exécutif Youssef Abtaouy, en surplomb sur la scène, gifle le député Mustapha Toub puis recule précipitamment, avant de quitter l’estrade.
Les chefs du parti ont bien voulu taire l’incident, mais à notre époque, avec plus de téléphones que de participants, la tâche se révèle impossible. Et après ? Après, ce fut la confusion, la totale confusion… les députés istiqlaliens font bloc autour de leur pair agressé et leur chef Noureddine Mediane signe une lettre adressée au président de la commission préparatoire pour demander la suspension de M. Abtaouy, alors même que ledit chef Mediane, dans une déclaration à la presse, explique que cela est normal, qu’on le voit dans tous les partis du monde, qu’à l’Istiqlal, c’est comme cela que les choses se passent, que tout le monde s’est excusé auprès de tout le monde et que la vie est belle. Le gifleur s’est aussi platement excusé par vidéo, en prévenant néanmoins que d’autres vidéos explicatives suivront… L’affaire est donc close.
Et bien non, ce n’est ni normal ni acceptable et, en voulant défendre son parti, Noureddine Mediane le dévalorise et l’abaisse, disant la chose et son contraire, demandant la suspension du gifleur tout en banalisant la gifle. C’est le manque d’idées et d’arguments qui conduit les membres de nos partis à verser dans la vulgarité, puis dans la brutalité, et enfin dans la banalité. S’il y avait des débats contradictoires autour de projets discutés et d’ambitions disputées, les échanges auraient pris une autre tournure, mais la vacuité et l’inanité de nos politiques nous donnent à assister à de pareils et affligeants débordements.
Est-ce grave ? Oui, incontestablement oui, et un parti comme l’Istiqlal, celui de l’Autocritique (titre du livre d’Allal el Fassi, ancien grand patron du parti et grand-père de son actuel secrétaire général) ne devrait non seulement pas tolérer ces comportements, mais devrait sévir avec la plus grande fermeté. En 2017, les assiettes avaient volé, en 2024, c’est la gifle qui fusa, et c’est l’impunité d’hier qui a permis la brutalité d’aujourd’hui. Or, un parti est supposé encadrer les populations, et donc servir de modèle ; souffleter un député avec lequel on est en désaccord n’est pas forcément le bon exemple.
Entretemps, Youssef Abtaouy a été suspendu par la commission préparatoire du congrès, de même qu’Achraf Abroun, qui fut l’éphémère candidat à la présidence de cette commission, une candidature non « consensuelle » qui a mis le feu aux poudres et la main de l’un sur la joue de l’autre. Mais le problème est ailleurs.
Le problème est dans cette sourde et éternelle lutte d’influence entre Nizar Baraka et le clan Ould Rachid. On tait la chose, mais elle est connue, on minimise son impact mais il est important. Revenons à 2017, quand le parti voulait absolument se débarrasser de la mainmise de Hamid Chabat, mais que Nizar Baraka ne pouvait affronter seul ; il « lui a été » adjoint Hamdi Ould Rachid, qui ne s’était pas fait violence, eu égard aux relations tendues qu’il entretenait avec M. Chabat et son clan. M. Ould Rachid a gagné, mais M. Oulad Rachid s’est imposé, prenant beaucoup de place, trop de place, beaucoup trop de place qui fait de lui un Iznogoud potentiel, fomentant des révolutions de palais, tentant de prendre le contrôle du sacrosaint comité exécutif, retardant et entravant la marche normale du parti.
Au sein de l’Istiqlal, tout le monde parle d’intervention externe au parti. Mais qui diantre pourrait s’immiscer, depuis l’extérieur, dans les affaires internes de ce parti, qui reste un patrimoine politique national, un legs des « pères fondateurs » de notre indépendance ? Bien malin qui répondra, les plus informés se tairont… Mais ce patrimoine, ce legs, est, il faut le dire, infesté par des créatures qui ne font honneur ni au PI ni au pays, des individus qui ont même investi le comité exécutif et succèdent donc, bien malheureusement, aux el Fassi (Allal et Abbas), Balafrej, Boucetta, Khalifa (réduit à faire des conférence au PJD, à défaut d'en avoir l'occasion à l'Istiqlal), Louafa, Ghellab (Abdelkrim), Kadiri, Bennani Smirès et bien d’autres…
Le Maroc a besoin de beaucoup de politique et de plus en plus de politiques mais, hélas, la scène politique actuelle en fournit de moins en moins. Nous avons bien des réminiscences de partis issus du mouvement national, comme le PPS, mais de combien de divisions dispose-t-il, comme aurait dit Staline ?… l’USFP connaît un douloureux marasme idéologique et éthique… et les autres sont insignifiants. Est-ce, sérieusement, avec le RNI, le PAM, ce qui reste de l’UC, la survivance du MP, les décombres du très fermé et renfermé PJD que nous voulons bâtir ce Maroc nouveau auquel nous aspirons ? Il faut croire que non, et l'hémorragie de Marocains vers l'étranger le prouve !
Il reste à former le vœu que de ce très tardif congrès de l’Istiqlal ouvre sur une ère nouvelle, avec un comité exécutif irréprochable (ou presque, car à l’impossible nul n’est tenu), avec des clans unis autour d’idées et non d’intérêts, avec des organes internes moins ternes, avec les voyous écartés… en un mot avec l’audace et la prestance qui furent jadis la marque de ce vieux, très vieux parti. Et aussi avec une neutralité externe, si possible.
Que cette gifle donc, petite pour la joue, soit un coup de géant pour le parti ; qu’elle le réveille de sa torpeur ! On peut l’espérer, à défaut de l’exiger !
Aziz Boucetta
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