(Billet 1003) – L’Istiqlal, Grand Corps Malade
… ou grand parti malade, cela reviendrait au même et cela est tout aussi consternant. Le vieux, le vénérable parti de l’Istiqlal, doyen des partis comme chacun le sait désormais, vit des soubresauts et des convulsions que l’on peinerait à retrouver dans le plus vulgaire des partis que les anciens de l’Istiqlal nommaient jadis partis cocotte-minute, et comprendra qui voudra.
La déliquescence de l’Istiqlal peut être datée, elle a commencé en ce jour du 23 septembre 2012. Ce jour-là, en effet, Hamid Chabat fut élu secrétaire général, à la surprise et à la consternation générales. Et cela est d’autant plus paradoxal que c’est bien la première fois, la toute première fois, qu’une véritable élection devait décider du nom du nouveau patron du parti ; enfin, la démocratie ! Mais telle est la démocratie… l’histoire nous a enseignés que le plus vertueux des processus peut déboucher sur les moins bons des profils et nous voyons cela partout, ici, là, ailleurs.
Hamid Chabat s’est donc attelé à façonner le parti à son image, c’est-à-dire opaque, sulfureuse et nimbée d’une dose de mystère de tendance plutôt malsaine. Et aussitôt M. Chabat installé, les créatures firent leur apparition, des repris de justice, futurs, effectifs ou potentiels, des personnages intéressés, des clans se sont formés, pour défendre des intérêts corporatistes ou régionaux. A ce stade, même l’incompétence n’était plus une tare, si elle était doublée d’intégrité, élément devenu rare au sein de la direction du parti…
… ce parti dont hérita Nizar Baraka, ce 7 octobre 2017. Un parti en morceaux comme les assiettes qui avaient volé lors du congrès ayant porté M. Baraka au secrétariat général. Pour se défaire du clan Chabat, plutôt brutal, il aura fallu au candidat Baraka l’appui viril du clan Ould Rachid, tout aussi brutal, d’où les assiettes, entre autres… Le candidat Baraka étant devenu le secrétaire général Baraka, le second devait s’acquitter de la dette que le premier avait contractée auprès du clan Ould Rachid. A l’Istiqlal, comme dans les autres partis au Maroc, les dettes se règlent en postes et fonctions. On dit que parfois aussi, elles se payent en numéraire, mais on dit tellement de choses ; à l’Istiqlal, la dette a été payée par l’influence et les fonctions. Mais comme il en fallait plus, alors la pression des Ould Rachid a augmenté et cela fut l’une des principales causes du retard de deux ans et demi pour la tenue du congrès.
Et alors que, en réunissant son comité exécutif le 14 février et son conseil national le 2 mars et en décidant de la date du congrès pour fin avril, le parti semblait avoir laborieusement colmaté les brèches et soigné les plaies, voilà que l’Istiqlal montre l’étendue des dégâts dans son grand corps malade. La lutte sourde entre les Barakiens et les Rachidiens est le grand mal qui frappe ce corps, et les diverses affaires qui le secouent aujourd’hui sont les manifestations extérieures de ce mal, des éruptions pouvant être plus graves que d’autres.
1/ La non-tenue du conseil national depuis une date immémoriale, le renvoi du congrès aux calendes grecques, la division manifeste même tue par esprit corporatiste entre les deux clans, ou plutôt le clan rachidien contre Nizar Baraka,
2/ La gifle ! Un désaccord survient dans le processus d’organisation du congrès, deux personnes sont opposées, un membre dirigeant du comité exécutif, sur son estrade, et un député, en contrebas ; le premier assène une gifle monumentale au second, et le premier est aussitôt exclu de la commission préparatoire du congrès, en attendant plus.
3/ Le retentissant scandale Noureddine Mediane. Il est membre du comité exécutif et surtout chef du groupe parlementaire de l’Istiqlal, titre prestigieux eu égard à l’histoire du pays et de ses prédécesseurs, aujourd’hui un groupe devenue une cohorte de plus de 80 députés. Un scandale fait de harcèlement, de mœurs, de népotisme et de chaude intimité, selon une vidéo qui circule abondamment sur les réseaux, et dont M. Mediane réfute l’authenticité. L’accusatrice de ce dernier, ancienne députée et actuelle élue régionale, a saisi la justice.
C’est cette affaire qui est la plus grave, et ni le parti ni son chef ne se sont prononcés ; un silence coupable. La présomption d’innocence existe certes, mais il s’agit d’une affaire politique, et la politique a aussi ses règles ; en pareil cas, quand les présomptions sont fortes, et elles le sont, on suspend. Mais, et c’est là où les choses se compliquent, Noureddine Mediane est comptabilisé « barakien », ayant toujours (ou presque) été le soutien du secrétaire général. Nizar Baraka n’est pas mathématicien, mais il devra résoudre la difficile et périlleuse équation entre la défense des valeurs du parti contre l’esprit clanique et la protection personnelle que celui-ci procure.
Certains observateurs internes et d’ailleurs relient ces évènements à l’organisation prochaine du congrès, d’autres au remaniement qui suivra (ou précédera, qui sait ?) le congrès, mais il est aussi fort possible que si le cas Mediane devient affaire Mediane, ce sera le cacique partisan suivant sur la liste qui commence à prendre forme, après Mohamed Moubdiî, les deux du PAM, le député déchu et ex-adjoint du maire de Fès, au nom du « sérieux » et de la moralisation de la vie publique. Mais cela est une autre histoire, revenons donc au parti de l’Istiqlal.
Voilà où donc en est ce parti, dirigé depuis six années par un homme de consensus, parfois trop consensuel, intègre certes et compétent mais auquel il manque peut-être ce mordant et cette niaque nécessaires pour confronter les troubles ambitions internes et affronter les sourdes interventions externes, quelles qu’elles soient.
Dans une classe politique détruite au pire, moribonde au mieux, entre partis surclassés mais dépassés, partis porteurs d’idées mais de petite taille, anciens grands devenus glands, l’Istiqlal demeure peut-être un parti que le Maroc gagnerait à voir préservé. L’avenir aura besoin de sérieux et en retrouvant un peu son sérieux, l’Istiqlal pourrait penser peser à nouveau. Pour l’instant, ce grand corps malade devient pesant.
Aziz Boucetta
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