(Billet 1007) – Et si on « assainissait » les partis politiques ?
Quels sont les facteurs, ou ingrédients, d’une démocratie élective, une vraie ? Un Etat qui la veut, des textes qui en soulignent les règles, une population engagée ou au moins adhérant à l’idée de cette démocratie et, bien évidemment, des partis politiques. Il est en outre nécessaire d’avoir une justice qui veille et qui surveille. C’est de la juste et équilibrée combinaison de tous ces éléments que naît une vraie démocratie, et c’est pour cela qu’une vraie démocratie, précisément, demande du temps pour se mettre en place.
Au Maroc, pays où l’on prend son temps, l’Etat souhaite vraiment instaurer une pareille démocratie, même s’il avance souvent avec un regard appuyé vers l’arrière et des réflexes surannés. Les textes sont globalement corrects, avec une constitution avant-gardiste mais une très perfectible loi organique sur les partis. Les problèmes commencent avec la population, pas trop engagée, peu confiante dans sa classe politique, votant peu, votant mal, et souvent ne votant pas. Quant aux partis politiques, c’est là que nous avons un problème. Un sérieux… face à une justice encore laxiste à l’égard des turpitudes confirmées ou supposées de ces partis.
Oui, bien sûr, il ne faut pas insister sur cela, car de tels propos, disent-ils, sont de nature à discréditer la classe politique et à éloigner les électeurs de la pratique démocratique. Certes, mais des partis avec un crédit décroissant n’ont pas besoin d’être discrédités et ce serait faire injure aux électeurs que de suggérer qu’ils ne pensent pas d’eux-mêmes.
Alors donc, pourquoi ces partis seraient-ils en déliquescence ? La première raison, la plus grave, est que c’est parce qu’ils se trouvent dans un cercle vicieux, qui est aussi celui du pays. Etant pléthoriques, dépourvus de leaders charismatiques, sans idéologies connues et donc de moins en moins attractifs, ils séduisent peu de cadres présentant la triple qualité de la bonne formation, de l’indiscutable intégrité et du solide engagement ; et puisqu’ils n’attirent pas ces profils, seuls à même de rehausser leur action et leur niveau, ils alignent pour une grande partie de leurs candidats des créatures douteuses, et perdent encore plus de leur crédibilité, et donc de leur attrait et recrutent d’autant moins de gens de valeur, et ainsi de suite jusqu’à la chute finale…
Si au siècle dernier, l’Etat issu de l’indépendance se méfiait des partis du mouvement national, et les combattait, jugeant et emprisonnant à tour de bras puis créant des formations à la demande et sur commande, cela était « recevable » en considération de tout un ensemble de raisons politiques, historiques et sociales que nous appellerons pudiquement « le contexte d’alors ». Or, ce n’est plus le cas maintenant, dans ce Maroc apaisé, serein et ambitieux, où les institutions sont solides et la confiance en ces mêmes institutions encore plus solide. Mais aujourd’hui, plus besoin d’Etat pour se saborder, les partis le font très bien d’eux-mêmes, sûrs de leur impunité, inconscients de leurs agissements et peu soucieux de leurs engagements.
Or, il est important de disposer de partis politiques forts et pour cela, la justice doit veiller, tancer, demander des comptes, voire sévir, face à des formations qui se sont accommodées de pratiques délictueuses, par leurs actes et décisions, ou en abritant et en promouvant des délinquants potentiels. Il n’y a pratiquement pas d’exception à cette règle.
Prenons le cas de l’utilisation par nos partis des fonds liés aux missions, études et recherches, à eux versés par l’Etat ; une bagatelle de 20 millions de DH sur lesquels les partis se sont jetés. La Cour des comptes a publié un rapport, et le moins que l’on puisse en dire est qu’il montre les mauvaises pratiques des partis avec l’argent. Et là, on trouve en vrac le népotisme pour l’USFP, le favoritisme pour l’Istiqlal, la rétention d’informations pour le RNI, l’entre-soi pour le PAM. Tous les partis politiques ou presque ont désigné ce qu’on peut très magnanimement qualifier de cabinets conseils, soit dirigés par des proches, des amis, des parents, des alliés politiques et ayant rarement pignon sur rue.
En un mot, une nouvelle forme de rente ! A l’exception du PPS et de l’UC qui ont remboursé l’intégralité des sommes perçues, les autres partis se sont jetés sur cette bienheureuse et inespérée manne de 20 millions de DH, même si ce n’est pas grand-chose, 20 millions de DH, pour 7 partis ; mais quand on a une habitude, il est difficile de s’en départir…
Avec cette affaire, cette nouvelle affaire très largement couverte par les médias et ayant conduit à une saisine de la justice par l’association de protection des deniers publics, nos partis politiques montrent encore une fois qu’ils sont non seulement sur une voie parallèle à la population, qu’ils vivent dans un autre monde, mais qu’ils sont aussi et surtout sur le chemin inverse de ce que nécessite l’élaboration d’une démocratie convaincante.
Et donc, pour en revenir aux quatre éléments qui font une démocratie, l’Etat laisse faire, les lois ne sont pas appliquées (car en principe une reddition des comptes est indispensable), la justice attend on ne sait quoi pour agir et accélérer le tempo et, bien évidemment, même si cela n’est pas mesurable, les citoyens sont renforcés dans leur perception largement négative des partis. Même le roi Mohammed VI a appelé à une moralisation de la vie politique... Un assainissement réglementaire, et pourquoi pas judiciaire, des partis devient donc nécessaire, le mot assainissement n’étant bien évidemment pas à prendre dans son sens de 1995…
Et contrairement à ceux qui pensent qu’il faut taire tout cela et accompagner les partis, les aider, les soutenir parce qu’ils seraient l’avenir, il est important de maintenir la vigilance citoyenne en attendant que la justice se préoccupe, puis s’occupe, de ces déviances. Elle semble néanmoins avoir commencé…
Aziz Boucetta
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