(Billet 1066) – Sebta, Tata… basta !

(Billet 1066) – Sebta, Tata… basta !

On aurait préféré passer à autre chose, oublier ce qu’il est pourtant difficile d’oublier, et s’atteler à une rentrée politique, sociale, universitaire plus ou moins normale… mais non, une catastrophe succède à l’autre et donc de nouvelles inquiétudes s’ajoutent aux précédentes qui n’ont pas encore été dissipées. Les gens agissent comme à Fnideq ou subissent comme à Tata, et ont besoin d’être rassurés, mais le gouvernement ne pipe mot et son chef est absent, comme le titre TelQuel.

1/ Voici une semaine, 3.500 jeunes Marocains ont tenté de passer en Espagne, avec l’Europe comme objectif déclaré et paradis fantasmé. Ils en ont été empêchés par les forces de l’ordre, mais gageons qu’une telle opération pourrait se rééditer, puisqu’une pareille vague de migrants avait déjà déferlé à la nage sur Sebta à fin août, 20 jours avant donc.

2/ Ces jours derniers, la région de Tata a été dévastée par des pluies diluviennes qui ont occasionné plusieurs morts et nombre de disparus, en plus des extraordinaires dégâts dans la faible infrastructure de l’endroit. Au début de ce même mois, la même région sud-est du royaume avait été frappée par des pluies de même intensité, causant les mêmes dégâts et plus de victimes encore.

3/ Les pouvoirs publics. Face à ces deux événements, la réaction des autorités autres que sécuritaires, militaires ou secouristes est très simple, et elle s’est faite (ou pas) en deux temps.

D’abord, un silence sépulcral du chef du gouvernement ; on peut arguer qu’il travaille en silence et dans la discrétion… soit, peut-être, admettons, mais ce genre de catastrophes et d’événements requièrent une communication de crise, pour rassurer les gens, pour calmer leurs légitimes peurs. Et bien non, rien. Contrairement à ses prédécesseurs sur ces 25 dernières années, Aziz Akhannouch ne prend pas de risque, ne prend pas la parole, et il ne prend même pas la mesure du danger d’une contestation populaire croissante.

Puis, sur le plan législatif, les partis de la majorité ont beaucoup réfléchi, se sont certainement réunis, puis ils ont profondément recogité, à trois, puis à quatre en s’adjoignant la petite UC. Ils ont ensuite produit un communiqué dont la pertinence interroge et dont l’intelligence même demeure mystérieuse. Oui certes, ils sont dans leur rôle en convoquant une réunion multi-ministérielle, mais en demandant à prioriser l’investissement et l’emploi, ils ne disent pas autre chose que le chef du gouvernement ; d’où le questionnement de l’utilité d’une telle réunion. Ils demandent aussi à prendre des mesures contre certains influenceurs, à sensibiliser les parents et à améliorer le système éducatif. Le communiqué se résume au final à une déclaration d’intention, faite davantage pour montrer son existence qu’une quelconque pertinence.

Voilà, ils auront fait le tour de la question, ils auront agi, nos partis de la majorité (plus la lilliputienne UC), ils pourront dire qu’ils ont fait quelque chose. L’honneur parlementaire est sauf, le reste est à l’avenant.

Puis, pour les inondations de début septembre (le communiqué est paru avant les crues en cours dans la région sud-est), nos majoritaires (avec, bien sûr, l’UC) se sont plus félicités de l’excédent d’eau, de ce qui a été fait et bien fait, appelant les gens à… faire attention. Puis les chefs, tant qu’a faire, ont tout évoqué, ont parlé la rentrée scolaire et universitaire, de leurs problèmes de majorité et de leurs ambitions pour rester majoritaires.

Bref, un communiqué en situation de crise, mais dans la plus pure tradition de la langue de bois et du contrôle parlementaire très théorique.

Qu’auraient-ils donc pu dire ou faire d’autre ? Oh, par exemple s’intéresser aux résultats de l’évaluation du programme d’investissement d’une agence comme l’ANDZOA (agence nationale de développement des zones oasiennes et de l’arganier), soit plus de 100 milliards de DH (oui, 100 milliards de DH) de 2012 à 2020. A titre de comparaison, la LGV Kenitra-Marrakech, c’est 40 milliards de DH, le CHU de Rabat (le plus grand du continent) à 6 milliards de DH, et un grand barrage (200 millions de m3 de retenue), 2 milliards de DH… Comment tous ces 100 milliards d’investissement n’ont-ils donc pas été en partie consacrés à sécuriser ces zones, à construire autant d’ouvrages qu’il le faut ou, en cas de stricte impossibilité, à faire déplacer les populations menacées dans d’autres endroits, dûment aménagés pour les recevoir ? Peut-être qu’un audit serait utile pour s’assurer la prochaine fois qu’autant de dizaines de milliards de DH sont bien dépensés… car en effet, annoncer la création de 123.871 emplois pour plus de 100 milliards de DH, c’est ennuyeux.

Qu’aurait bien pu faire le chef du gouvernement face à toutes ces crises qui s’additionnent ? Au moins adresser un petit mot, une petite pensée, une promesse, à ces milliers de jeunes qui ont volontairement choisi le danger de l’ailleurs aux très hypothétiques opportunités ou perspectives locales ; ou alors une allocution montrant sa compassion à l’égard des sinistrés des zones sud-est du royaume. Rien, pas un mot, même pas en ouverture du conseil du gouvernement où il est pourtant aisé de lire quelques phrases soigneusement rédigées. A la place, le conseil est passé directement à son exercice favori, égrener les millions et les milliards ; cette fois, c’était le tourisme… Quant à l’évaluation des politiques publiques, après trois ans au gouvernement, le ministre qui en est chargé brille aussi par son absence, sauf pour dérouler à son tour les millions et les milliards.

Tout cela, en pleines rentrées de tout, des rentrées qui se déclinent en sorties dans les rues, en mouvements d’humeur et en grèves. Des grèves en été chez Autoroutes du Maroc, au sein du corps des professionnels de la santé, chez les greffiers de justice, des étudiants de médecine qui ne décolèrent pas … M. Akhannouch et ses amis sont-ils conscients qu’ils forment un gouvernement et qu’un gouvernement, cela doit expliquer, convaincre, s’exposer… ou s’en aller, sans même remanier ? Le problème est que chez nous, au Maroc, on ne démissionne pas, on s’incruste en attendant une révocation. Soit, mais… basta !

Aziz Boucetta

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