(Billet 1070) – Les écoles pionnières, un succès à bas bruit

(Billet 1070) – Les écoles pionnières, un succès à bas bruit

Il existe quand même des choses qui vont bien dans ce gouvernement. Et ce ne sont pas forcément celles auxquelles on pense de prime abord, comme la protection universelle, la reconstruction/reconfiguration d’al Haouz, la transition numérique, et autres. Ces chantiers avancent certes mais trébuchent aussi sur nombre d’obstacles. Et il y a de grands programmes qui réussissent, et dont les résultats sont déjà visibles et prometteurs, prometteurs car probants, comme le programme des écoles pionnières.

Et c’est d’autant plus plaisant que deux tiers de siècle après l’obtention de l’indépendance, le Maroc patauge toujours dans le domaine de l’éducation nationale. Ce devrait être un scandale mais c’est devenu normal et à force, les Marocains se sont habitués, et ont migré vers le privé, passablement délabré. Puis arrive le Modèle de développement, concocté par la commission éponyme, présidée par Chakib Benmoussa, qui est chargé plus tard de mettre en œuvre et en musique au gouvernement ses recommandations en matière d’éducation.

Deux ans après son installation à la tête de l’Education nationale, Chakib Benmoussa introduit et met en pratique son projet d’écoles pionnières. L’idée est de faire porter l’évaluation non sur la réalisation des programmes et des cursus mais sur le niveau d’appropriation de ces programmes par les apprenants, et surtout dans les trois disciplines que sont l’arabe, le français et les maths (on peut se demander pourquoi le français, mais bon…). Et comme il faut être conséquent et cohérent, le ministère évalue… et s’évalue ! Parfois, le volontarisme technocratique peut avoir du bon.

Ainsi, une étude a été menée par des organismes indépendants, après d’autres évaluations effectuées tout au long de l’année scolaire passée. Et ce que dit cette étude qui a porté sur les acquisitions des jeunes écoliers est que les écoles pionnières se situent dans le top 1% mondial. Ça fait rudement plaisir et puis surtout ça nous change de notre grisaille habituelle des rangs inférieurs en à peu près tout en matière d’éducation et de formation.

Las… « Nul n’est prophète en son pays », pourrait-on dire ou, selon une autre déclinaison « ويل لمن أشارت إليه الأصابع ولو في الخير ». Chakib Benmoussa, on s’en souvient, avait été très rudement malmené au 4ème trimestre de 2023, avec des concertations de plus en plus acérées, des manifestants de plus en plus acerbes, des « coordinations » venues d’on ne sait où ni pour quelles raisons cachées (même si on s’en doute chouiya)… et un cinglant désaveu du chef du gouvernement qui « dilue » Chakib Benmoussa dans un improbable triumvirat ministériel, en même temps qu’une très singulière campagne médiatique est lancée contre lui. Mais c’était sans compter sur l’opiniâtreté du ministre et de ses équipes, qui ont de toute évidence lu la fable du chêne et du roseau ; ils se sont tous fait roseaux, ont plié, supporté la bourrasque qui s’est épuisée puis usée… et ils ont poursuivi leur tâche, jusqu’à cette rentrée, où ils ont eu l’heur de recevoir les résultats de leur travail. En dépit des louables efforts de ces mystérieux gens énervés qui, de mois en mois puis de jour en jour, s’évertuaient à ne pas lui lâcher les baskets.

Il est important de saluer le courage de Chakib Benmoussa et la ténacité de ses équipes, passés maîtres dans l’art difficile d’avaler les pires déconvenues. Ils sont comme ce boxeur malmené mais qui marque des points ; il a besoin d’applaudissements et d’encouragements pour persévérer, et il en va de même pour cette équipe qui gagne. Il n’est qu’à voir les commentaires sur les réseaux, qui vont tous dans le sens de cette idée mille fois formulée : « Pour une fois qu’on y a cru et qu’on y croit, laissez-les travailler ! ».

Rien ne se fait sans douleur et la douleur est souvent condition de rémission et annonciatrice de remédiation, pour reprendre le mot phare du titre de l’étude d’évaluation. Et la douleur, c’est l’introduction de nouvelles méthodes d’apprentissage et d’intervention ; et comme chacun sait, dans un pays comme le Maroc, habitué à la rente et indifférent à la médiocrité qu’elle induit, on n’aime pas la nouveauté… surtout quand l’Etat a semblé avoir renoncé à réformer l’école publique pour la remplacer par le privé, mercantile par essence et incertain par nature.

Et du coup, comme on dit trop souvent aujourd’hui en mauvais français, les près de 630 écoles pionnières et leur environ 300.000 écoliers passeront à 2.000 établissements et 1,2 million d’apprenants… qui apprendront vraiment quelque chose. Ils s’exprimeront mieux, liront plus vite et avec plus de précision, obtiendront de bonnes évaluations de leurs connaissances, et se classeront du point de vue des résultats parmi les meilleurs au monde. Répétons-le, lentement, pour mieux le goûter, « parmi les meilleurs au monde ». Ça nous change.

L’accent a été mis sur l’enseignant, sa formation, son cadre de travail et son revenu ; les classes sont mieux aménagées et les programmes d’encadrement et de remédiation aux lacunes sont mieux calibrés. Tout cela coûte de l’argent certes, mais très certainement moins que les 43 milliards de DH engloutis dans le néant d’une réforme mort-née entre 2009 et 2011.  

Cette fois, ce qui est entrepris peut fonctionner, et il fonctionne déjà. Il faut juste que ceux qui avaient attaqué et éreinté Chakib Benmoussa et ses équipes les laissent travailler. Autrement dit, qu’ils acceptent qu’un grand projet de grande réforme atteigne de grands résultats. Le Modèle de développement, largement ignoré sous ce gouvernement, servira au moins à quelque chose…

Peut-on croire que, enfin, dans ce vieux pays, l’éducation nationale soit sur le bon rail ? Oui, on peut y croire, si bien évidemment on laisse faire M. Benmoussa et ses équipes. Ils le valent bien, ayant déjà payé le prix fort, ayant déjà pris assez de coups, hauts et bas. Chakib Benmoussa est sans doute aussi taiseux que M. Akhannouch, mais il est capable de penser des politiques, réaliser des rapports, conduire les politiques qui en découlent, et les défendre.

Aziz Boucetta

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