(Billet 1091) – Abdelouafi Laftit ambitionne de mettre les taxis sur… le droit chemin
Le Maroc est un Etat de droit, ou du moins ainsi le présente-t-on, tout étant bien entendu perfectible en ce bas monde. Mais admettons qu’il y a quand même du droit dans ce pays, et qu’il gagne du terrain. Or, comme dans toute chose, il existe des résistances, et parmi les plus notables de ces dernières, le très fermé monde des taxis. Et le plus préoccupant est que la puissance publique paraît avoir admis le fait et l’existence prospère de cet espace de non-droit. Cela semble fini aujourd’hui, du moins on l’espère.
Lui est cadre dans une grande entreprise rbatie qui organise une réunion à Tanger avec des investisseurs vietnamiens, par exemple. Il traverse la somptueuse capitale jusqu’à la gare pharaonique d’Agdal, grimpe dans le TGV et, très exactement 70 mn plus tard, il en sort pour se retrouver dans l’aussi belle et immense gare de Tanger. Il quitte la gare pour chercher un taxi qui l’emmènera à son lieu de réunion… Elle est chirurgienne ophtalmo à el Jadida, et elle a programmé une opération compliquée au CHU de Rabat. Elle emprunte l’autoroute vers Casablanca, traverse la ville, gare sa voiture dans le grand parking de la grande gare de la grande ville, saute dans le train rapide pour Rabat, puis quitte la gare pour prendre un taxi qui l’emmènera à son lieu d’intervention… Lui vient d’Allemagne, il est professeur, il atterrit à l’aéroport Mohammed V, passe les contrôles et se retrouve sur le parvis de l’aérogare et cherche un taxi qui l’emmènera à son hôtel avant de se rendre à son lieu de conférence…
Les trois sont happés par des types aux mines patibulaires, souvent dépenaillés, mal rasés, parfois même hirsutes, hurlant des directions à la face des voyageurs qui arrivent et qu’ils invectivent à l’occasion. Ils s’échangent les passagers et vont les enfermer dans leurs taxis rouges, bleus, jaunes, au confort incertain, certains tenant uniquement par la peinture. Notre cadre à Tanger, notre chirurgienne à Rabat et notre visiteur étranger se trouvent alors coincés entre deux personnes qu’ils ne connaissent pas, allant dans une direction qu’ils ne reconnaissent pas ; ils constatent le verre souillé par du café séché entre les deux sièges avant et avisent les fils inquiétants qui pendent de sous le volant ; l’odeur est pesante, la clim est un luxe inconnu, le respect du code de la route une option.
Ce n’est pas le Maroc que nous voulons en interne et encore moins celui que nous promouvons à l’international. Ces taxis, pour la plupart, sont une indésirable survivance d’un Maroc que nous pensions révolu, que nous voulons dépasser. Et c’est là que notre ministre de l’Intérieur intervient enfin, finalement… Abdelouafi Laftit a adressé une circulaire à « ses » walis et gouverneurs, leur y demandant plus de fermeté quant à l’hygiène, la sécurité et la fiabilité.
Comment cela se passera-t-il ? Certainement mal, pour deux raisons. D’abord l’incivisme notoire, insistant et résistant de la plupart des conducteurs de taxis, urbains ou interurbains, et ensuite la nature des fameux agréments et le statut des gens qui en bénéficient. M. Laftit sait qui sont ces heureux élus et a donc une idée de la difficulté qu’il aura à sévir, car le problème vient de l’autorisation de circuler délivrée à ces personnes, avec les questions de mémoire et d’héritage qui se greffent et qui compliquent le tout.
Introduire les nouvelles technologies (applications, centres d’appel, …), remplacer le parc de taxis (comme cela été fait et réussi pour les taxis dits « grands »), sensibiliser les chauffeurs de taxis à plus de civisme et de respect, et au besoin sévir contre les récalcitrants, quels qu’ils soient… voilà les grandes mesures qui devront être prises par les walis et gouverneurs. Et la formation… ce n’est pas parce qu’on sait conduire un véhicule qu’on est forcément un bon chauffeur de taxi.
Mais plus important est la correction de la réglementation des taxis et des autorisations délivrées. Qui y a droit ? Comment accéder à la profession ? Quelles sont les règles du métier (ancienneté, connaissance des villes, allure du conducteur, tenue du véhicule, sanctions…) ?
Confier un changement à des walis et gouverneurs est une bonne chose, assurément, mais une réforme globale est par essence centrale et doit passer par la législation, au niveau du ministère. Le ministre de l’Intérieur osera-t-il s’en prendre à une profession réglementée par la coutume, les habitudes, les copinages, les passe-droits ? Pourra-t-il affronter les résistances et autres interventions ? Sera-t-il en mesure de dépasser l’effet d’annonce de sa circulaire pour procéder aux coups de semonce nécessaires, avant de procéder à la grande bascule d’un secteur dont le fonctionnement aujourd’hui ne répond plus aux exigences du Maroc et des Marocains d’aujourd’hui ?
En un mot, Abdelouafi Laftit jettera-t-il prématurément l’éponge, laissant les taxis déraper sur la voie publique ?
On sait que les walis et gouverneurs new generation font des miracles quand ils le veulent, et ils le veulent souvent. Mais parfois, même s’ils le veulent, une implication personnelle et directe du ministère est salutaire. Attendons donc de voir se matérialiser cette bonne volonté d’Abdelouafi Laftit et voyons s’il s’arrêtera en chemin ou non, et si oui, à quel niveau ? S’il laissera ces chauffeurs de taxis, chauffards pour être plus précis, qui connaissent la foi mais ignorent la loi, sévir sur nos avenues et nos routes ?
Dans l’intervalle, bâtir des infrastructures de mobilité ultramodernes, construire des ponts et creuser des tunnels, ériger des gares et des aéroports, tout cela est bien, mais sans taxis au niveau requis et de taximen (women) avec un savoir-vivre bien acquis, la tâche restera inachevée. Bon courage, M. Laftit.
Aziz Boucetta
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