(Billet 1098) – Dessalement à Casablanca : Accusé par le PJD, Akhannouch doit répondre
L’un parle beaucoup et plutôt bien, l’autre s’exprime peu et souvent mal ; l’un est l’inconsolable ancien chef du gouvernement, l’autre est le bienheureux actuel chef du gouvernement. Les deux partis, PJD pour l’un et RNI pour l’autre, ont travaillé ensemble huit années durant au gouvernement. Mais les deux partis et leurs deux chefs ne s’aiment guère, s’apprécient peu et croisent le fer souvent. Cette fois, c’est plus sérieux, et les méthodes des deux protagonistes doivent impérativement changer ou aboutir ; il en va de l’image et de la réputation du Maroc qui, dit-il, veut attirer massivement les investissements étrangers.
Cette fois, l’affaire est donc sérieuse, car elle porte sur le projet en cours de construction, d’installation et d’exploitation de la station de dessalement de Casablanca. Des centaines de millions de m3 par an, des milliards de DH. Un grand financier, Othmane Benjelloun, un leader mondial du dessalement, et Afriquia Gaz, l’entreprise dont le nom est indissociable de celui du chef du gouvernement. Aziz Akhannouch a pourtant bien quitté toutes ses fonctions de direction à la tête de cette entreprise depuis son accession à la présidence du gouvernement, et c’est tout à son honneur, mais il en reste actionnaire, ce qui est tout à fait légal.
Mais la rumeur a la peau dure, elle court, elle court comme on dit, et elle se renforce comme boule de neige quand elle ne reçoit pas de réponse.
Les faits, en faisant très court car dans cette affaire, le diable n’est plus dans le détail, mais dans le fait même. La semaine dernière, donc, le PJD attaque en accusant « la société du chef du gouvernement » d’avoir bénéficié d’un traitement de faveur. Lundi 16, M. Akhannouch répond, à sa manière désastreuse de capitaine d’industrie habitué à commander et peu rompu aux joutes orales convaincantes. Il affirme que la société en question, (en l’occurrence l’entité créée, Al Baida Desalination Company) n’a reçu aucune subvention publique (son entourage parle de « soutien spécifique »). Tollé dans les rangs PJDiens, qui exhibent le PV d’une réunion à la présidence du gouvernement de La Commission nationale des investissements n° 6 indiquant que des subventions sont accordées, ou le seront, à plusieurs sociétés exerçant dans plusieurs secteurs dans plusieurs régions ; la station de dessalement est citée et la Région Casablanca-Settat aussi.
Ce jeudi 19 décembre, conférence de presse au siège du PJD, avec Abdelilah Benkirane au centre, à sa droite Driss el Azami Drissi et à sa gauche, Abdallah Bouanou. Des durs, des connaisseurs, des cogneurs. Ils connaissent bien le dossier et ils cognent. Ils accusent le chef du gouvernement de rien moins que de conflit d’intérêt, de délit d’initié et, dans la foulée, de trafic d’influence. Ces expressions ne sont certes pas exprimées clairement mais l’intention y est. Les chefs du PJD affirment ainsi que le chef du gouvernement, ayant des intérêts dans le groupement, savait que l’IS allait baisser à partir de janvier 2024, d’où la création d’Al Baida en janvier 2024 ; qu’il préside la commission nationale des investissements, pour l’octroi de subventions et que, de toutes les façons, être chef d’un gouvernement qui doit statuer sur le fonctionnement d’Al Baida, qui lui appartient indirectement… tout cela est plutôt amoral.
Contactée, une source à la présidence du gouvernement explique que toutes ces accusations ne reposent sur rien et que l’appel d’offre international en question s’est déroulé dans des conditions de transparence, et que, comme l’a déjà indiqué le chef du gouvernement au parlement, le moment viendra de revenir sur ce sujet. Dont acte, mais ce n’est pas la première fois que le chef du gouvernement dit qu’il va s’exprimer, et qu’avec le temps et les nombreuses occupations, il oublie…
Toujours est-il que quelques jours plus tôt, au parlement, le plus officiellement du monde, Aziz Akhannouch rejette tout cela avec, il faut le souligner, une certaine morgue, faisant davantage penser à un PDG s’exprimant devant une assemblée générale turbulente qu’à un chef de gouvernement en situation délicate.
On peut reprocher ce qu’on veut au PJD, mais on ne peut lui renier cette capacité, cette maestria même à « faire de la politique », et c’est de bonne guerre et une réponse du berger à la bergère. Aziz Akhannouch ne l’a pas compris, lui qui se trouve aujourd’hui appelé à se justifier. Oui, à se justifier et même à s’expliquer car les accusations sont extrêmement graves et doivent avoir une suite. Ou bien M. Akhannouch réussit à convaincre qu’il n’est en rien concerné par le dessalement à Casablanca (hors ses participations dans les sociétés) et les chefs du PJD devront répondre à des accusations de diffamation, avec risque de condamnation à l’inéligibilité… soit le chef du gouvernement n’y arrive pas et alors le Maroc se trouvera avec un chef de gouvernement juge et partie dans un projet économique gigantesque, impliqué pour avoir accordé des faveurs à une entreprise dans laquelle il a des intérêts (et qu’il a bien imprudemment défendu lors de sa prise de parole au parlement). Dans ce dernier cas, le PJD demande – et à juste titre – la démission du chef du gouvernement.
Aziz Akhannouch est aujourd’hui appelé, interpellé, hélé, pour sortir de sa réserve et de son enfermement. Il doit clarifier les choses, ces choses dont l’opinion publique parle depuis un an, depuis que le projet de dessalement à Casablanca a été attribué. Il a dit qu’il le ferait, le plus tôt sera le mieux alors.
Il faut que cela cesse, que les insultes de Ssi Benkirane contre Ssi Akhannouch cessent et que la condescendance de Ssi Akhannouch à l’égard de Ssi Benkirane cesse aussi. La solution sera soit politique au moyen d’un regroupement de l’opposition autour de cette affaire, comme le laisse entendre le PJD (qui sait que numériquement, l’opposition reste largement minoritaire) … soit judiciaire si un procureur intrépide ou si la Cour des comptes, avec sa méticulosité habituelle, décide de s’autosaisir de cette affaire très salée… soit autrement, en interprétant la constitution… car quand un ancien chef du gouvernement accuse l’actuel, il faut s’en alarmer.
Aziz Boucetta
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