(Billet 1132) - Sahara marocain, l’Autre monde joue sa 'partition'

(Billet 1132) - Sahara marocain, l’Autre monde joue sa 'partition'

En relations internationales et en géopolitique, les coïncidences adviennent peu ; elles existent, mais elles sont rares. L’article publié voici une semaine par Foreign Affairs, vantant la solution de la « partition » du Sahara, ne relève certainement pas de la coïncidence, du moins serait-il naïf et dangereux de le penser. De même qu’il serait aussi naïf que dangereux de penser que Donald Trump est fiable, et qu’il se tient à ses décisions. Tout montre et prouve le contraire. Mieux que s’inquiéter, Rabat devrait plutôt anticiper.

S’il est un constat qu’on peut faire, concernant la question du Sahara marocain, c’est que les choses bougent, vite et beaucoup, depuis quatre ans, depuis le fameux tweet de Donald Trump et l’Accord tripartite Etats-Unis-Maroc-Israël qui a suivi. Dans l’intervalle, Trump est parti, Biden l’a remplacé, alternant en bon Démocrate le chaud et le froid avec Rabat. Puis l’Espagne a significativement fait avancer sa position, dans le sens du Maroc, mais sans déclarer officiellement sa reconnaissance de l’intégrité territoriale du Maroc ; idem pour l’Allemagne. La France a franchi le pas, clairement et explicitement, et le Maroc a marqué des points décisifs en Amérique latine contre l’Algérie et son poulain le Polisario, comme au Panama, jusque-là plaque tournante des séparatistes dans la région. 

Puis Trump est revenu, plus incisif, plus agressif, plus mordant, infiniment plus imprévisible, obsessionnellement porté sur le deal… en un mot, dangereux. En presque deux mois, il a bouleversé l’ordre international issu de la 2ème Guerre mondiale, abandonné l’Europe, bousculé ses voisins, et s’est singulièrement rapproché de la Russie. Dès lors, dans tous les coins du monde qui dépendent peu ou prou de la décision américaine, chacun revoit ses plans, calculs et alliances, mène son jeu, active ses relais, fait avancer ses pions, espérant l’emporter dans ce monde où aucune règle ne fonctionne plus et où aucune alliance n’est pérenne ou au moins garantie.

Pour la question du Sahara, la diplomatie algérienne se mobilise, encore plus qu’elle ne le fait déjà (si si, c’est possible !). Elle se dit prête à tout offrir à Washington, préférences sur les hydrocarbures, facilités portuaires et militaires, ouverture sur les terres rares, car il semblerait que l’Algérie en ait dans ses entrailles. Alger, qui se faisait du sang d’encre pour gérer sa relation historique avec Moscou et entamer une autre, pragmatique, avec Washington, doit ronronner d’aise aujourd’hui que le rapprochement américano-russe se confirme.

Les Marocains se réjouissent du retour de Trump et se félicitent de l’arrivée de Marco Rubio au Département d’Etat, car il avait demandé en 2023 l’application de mesures sévères contre le régime algérien, accusé de financer la géopolitique de Poutine par ses achats massifs d’armes. Mais Trump est changeant et Rubio a déjà changé pour l’Ukraine ; pourquoi pas en faveur de l’Algérie au besoin ?

Il faut dire et admettre qu’en ce moment, notre diplomatie est un peu malmenée ; rien de grave, mais malmenée. Il n’est pas bien grave que la candidature marocaine à l’UA ait échoué, comme il n’est pas bien grave que le Tribunal arbitral du sport à Lausanne ait débouté le Maroc au sujet de sa carte floquée sur le maillot de Berkane en CAN, et il est tout aussi peu grave que la CJUE ait émis un avis défavorable au Maroc. Question : trois (non-)évènements pas graves, mis bout à bout, ne deviennent-ils pas un peu graves, quand même ? Chacun répondra comme il l’entend.

Comment le Maroc réagit-il, ou appréhende-t-il, le retour aussi burlesque que « dealesque » de Trump ? La seule chose à espérer est qu’il ne tombe pas dans le piège Coué, se répétant à l’infini que Trump a déjà pris sa décision, que le Maroc est très important pour l’Amérique (dont il fut le premier à…), que l’Algérie ne saura pas y faire, en ne sachant pas se défaire de ses contradictions, que le peuple marocain est unanime… Mais cette unanimité qui parle aux Européens, qui a parlé et fait céder les Français, les Américains s’en moquent comme de leur premier Colt ; on voit bien comment ils traitent les Ukrainiens, les Canadiens, les Mexicains, les Palestiniens, et même l’ensemble des Européens. Pour eux, c’est le deal et/ou le rapport de force.

L’erreur à ne pas commettre est de considérer les Algériens comme des idiots diplomatiques… ils comprennent parfaitement que le spectaculaire rapprochement entre Poutine et Trump est à leur avantage. Les deux sont vendeurs d’armes, et l’Algérie en est acheteuse, sans limite ; les deux ont des intérêts géostratégiques (accès au Sahel, hydrocarbures et terres rares pour les Yankees, ports sur la Méditerranée, verrouillage du Sahel par le nord et ventes d’armes pour les Russes) et l’Algérie est disposée à discuter de tout.

Alger a su imprimer un virage serré à sa diplomatie, il appartient au Maroc de faire pareil. Il est important de comprendre que ce qui se passe aux Etats-Unis n’est qu’un début, comme l’a dit Trump, car le vieux président compte en réalité moins dans cette nouvelle politique américaine que son vice-président JD Vance. Partant de ce principe, il ne faut rien négliger. A ce titre, la visite, même brève, de Xi Jinping à Casablanca, et son accueil par le Prince héritier et le chef du gouvernement, prend toute son importance géostratégique.

Aussi, la parution de cet article dans l’influent Foreign Affairs, appelant à la partition du Sahara marocain comme « la moins mauvaise des solutions », et à quelques semaines d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU consacré à cette question, ne saurait être le fruit du hasard. L’Envoyé personne Staffan de Mistura a fixé cette fin d’avril comme une limite à son mandat, si rien de nouveau ne se déclare dans ce dossier.

Gageons que notre diplomatie saura se montrer à la hauteur de ce qu’elle a jusque-là été, qu’elle saura activer les leviers qu’elle a toujours eus et qu’elle a toujours su actionner au bon moment (alliances golfiques et judaïques), qu’elle saura convaincre les Européens de véritablement s’intéresser à leur flanc sud, maintenant que Trump les a lâchés et que Poutine est sérieusement fâché. Mais, nous l’avons dit, tout le monde le dit, une diplomatie n’est pas seulement un ministère des Affaires étrangères et des lobbyistes/intermédiaires grassement payés ici et là, mais aussi des équipes diplomatiques sérieusement renforcées, une population informée et impliquée, des partis engagés et actifs, et un gouvernement réellement politique au lieu d’un groupe de technocrates taiseux.

Dans tous les cas, les semaines qui viennent ne seront peut-être pas décisives pour notre diplomatie, mais elles seront très significatives.

Aziz Boucetta

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