
(Billet 1183) - La « remontada » de la France au Maroc
Le mot est de l’ambassadeur de France au Maroc Christophe Lecourtier, dans son discours sportivement métaphorique à l’occasion de la réception offerte le 14 juillet à sa Résidence. Devant un public de plusieurs centaines de convives, le diplomate savourait à petites doses ce qui doit être considéré comme son succès personnel, en l’occurrence la reprise des relations entre Rabat et Paris suite à la reconnaissance franche et massive de la marocanité du Sahara.
Pourquoi revenir sur ce qui n’est au final qu’une réception d’ambassade et un discours d’ambassadeur ? Parce que c’est l’ambassade de France et que la France, pour ses amis et ses contempteurs, fut, est et pourrait même demeurer importante pour le Maroc, au moins pour la prochaine génération. Et aussi parce qu’il s’agit du diplomate qui a œuvré, parfois à rebours de la volonté de ses supérieurs et parfois à son corps défendant, à la rémission de la relation gravement endommagée par plusieurs maladresses et certaines inconséquences à Paris. Le discours a précédé celui de la partie marocaine, un discours et une présence en-deçà du niveau où ils étaient attendus.
Voici deux ans donc, quand Emmanuel Macron s’accrochait comme un naufragé aux erratiques d’Alger, la réception du 14 juillet à Rabat avait été largement, très largement boudée par les Marocains habituellement invités ; l’ambassade avait été réduite à convier la communauté des Français au Maroc pour couvrir la pelouse. Mais l’arrivée de M. Lecourtier en 2022, en remplacement de la très maladroite et suffisante Mme Le Gal, a radicalement changé les choses. Le nouveau venu avait dû subir les foudres marocaines contre Paris, et ces foudres étant lourdement silencieuses, l’ambassadeur avait connu une longue, terrible et pénible solitude. Mais il travaillait, en silence lui aussi, ayant appris des Marocains… Et au final, il parvint à convaincre l’Elysée qu’il valait mieux compter sur un très prometteur Maroc que sur un miracle algérien qui ne viendrait jamais.
Quand les choses entrèrent dans l’ordre, M. Macron eut enfin droit à sa visite d’Etat à Rabat, et les Marocains, tous les Marocains, ont sorti le grand jeu et ont mis les petits plats dans les grands, au propre comme au figuré. Garde royale en grande tenue, bain de foule malgré l’état de santé du Roi qui s’appuyait sur une canne, discours au parlement, dîner d’Etat, rencontre avec à peu près tout le monde… Dans son discours de ce 14 juillet, l’ambassadeur Christophe Lecourtier a eu des mots sur lesquels il est nécessaire de s’arrêter quelques instants, étant entendu que la relation entre la France et le Maroc, qui dure depuis au moins trois siècles, doit être pansée puis repensée.
1/ « Il y avait eu le 30 juillet 2024, et le 31 juillet - deux lettres, deux dates qui resteront gravées en majuscule dans notre histoire commune », dit M. Lecourtier. Dans la première, le président Macron avait affirmé que « le présent et l’avenir du Sahara s’inscrivent dans le cadre la souveraineté marocaine », et dans la seconde lettre, réponse à la première, le roi Mohammed VI avait souligné « l’importance de cette décision, qui émane d’un (…) intime connaisseur du passé et du présent de l’Afrique du Nord et témoin privilégié de l’évolution de ce différend régional ».
Le président se projette dans l’avenir, et le roi aussi, avec en plus une mention au passé, car « le témoin privilégié » dispose d’archives, ces archives concernent l’histoire du royaume et le royaume et ses historiens doivent avoir accès à leur histoire et à leurs archives, pour les confronter au présent. Marc Bloch ne disait-il pas que « sans se pencher sur le présent, on ne peut comprendre le passé » ? et comme le passé de ces trois derniers siècles du Maroc, et son présent, sont fortement liés à la France, Rabat doit récupérer ses archives.
2/ Autre remarque de l’l’Ambassadeur de France : « Quelle chance nous avons d’avoir le Maroc en Afrique ! Ce continent de tous les possibles, qu’il est l’heure d’apprendre à écouter, à respecter et à comprendre », et de citer Baudrillard : « Bien écouter, c’est presque répondre » ». Oui certes, mais on peut y ajouter cette remarque tellement juste qu’elle est attribuée à Einstein, Poincaré, Bergson et d’autres : « un problème bien posé est à moitié résolu », et le problème de l’Afrique, bien posé, ne peut faire l’économie du legs colonial français, essentiellement en Afrique Subsaharienne et en Algérie, où ce legs fait des ravages encore aujourd’hui.
Pour assurer cette remontada en Afrique francophone, il appartient à la France de reconnaître ce legs colonial dans ce qu’il a de plus néfaste (car la colonisation, il faut le reconnaître, a eu aussi bien des mérites), et de le corriger, franchement et massivement. Le problème est que les générations dirigeantes françaises ont changé, que les actuels décideurs sont des jeunes connaissant l’histoire de l’Afrique mais pas celle des Africains, conscients des dommages causés au continent mais pas à ses sociétés. Et tout cela, s’il n’y est pas remédié par une volonté concrète et des politiques robustes, perdurera, et la France ne fera de remontada ni en Afrique du Nord ni en Afrique tout court.
3/ En conclusion, Christophe Lecourtier lance un lyrique « Notre histoire, enfin, elle est celle de vous tous. Et derrière vous, de la multitude de femmes et d’hommes qui constituent les fils de soie de la trame inlassablement tissée entre le Maroc et la France ».
Alors, M. l’Ambassadeur, après les incontestables efforts entrepris dans la délivrance des visas de séjour sur votre territoire, il est important de continuer, d’aller « plus vite, plus haut, plus fort » comme disait un de vos illustres et lointains compatriotes. Cette réforme de la politique des visas passera par Paris, Bruxelles ou Schengen, mais elle devra passer, par n’importe quel moyen. En Europe, quand la France souhaite vraiment quelque chose, on sait qu’elle l’obtient, par n’importe quel moyen. Et si vraiment « la multitude de femmes et d’hommes qui constituent les fils de soie de la trame inlassablement tissée entre le Maroc et la France » n'est pas une formule diplomatique, alors il ne faut plus que ces hommes et ses femmes demandent l'autorisation de se rendre en France et en Europe.
Alors, ce Livre de nos relations, dont parle le diplomate, pourra être écrit en lettres d’or car, il est important de le répéter, les relations entre la France et le Maroc portent le poids de l’Histoire et se porteront mieux si le présent et l’avenir des liens entre les peuples, et non seulement entre leurs économies, s’améliorent… et si une véritable Entente Cordiale est tissée entre nos deux nations.
Aziz Boucetta
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