(Billet 1195) - Et ça veut se développer et même recevoir un Mondial...

(Billet 1195) - Et ça veut se développer et même recevoir un Mondial...

Merci Ghita, Ghita Asfour ! Merci d’avoir, à votre corps défendant, remis sur le devant de la scène une question que les Marocains n’arrivent toujours pas à gérer et encore moins à digérer, en l’occurrence les relations intimes entre adultes consentants. Nous ici, au Maroc, avons mis la barre trop haut pour notre niveau de tolérance et de vivre-ensemble. Cela fait partie des choses à changer ou à faire évoluer si on veut un jour recevoir le monde sans nous couvrir de ridicule.

Pourquoi  et comment nous couvrir de ridicule ? Soit en interpellant deux personnes adultes de même sexe ou de sexe opposé entretenant une relation d’intimité hors mariage, soit en accommodant la loi aux situations, libérant les uns et embastillant les autres, la vidant ainsi de sa substance ; et, ce faisant, on habitue les citoyens à la géométrie variable des lois et on les conduit à considérer le caractère facultatif de ces mêmes lois. Phénomène qu’on voit dans l’incivisme de nos compatriotes.

Que s’est-il passé ? C’est l’histoire de la jeune actrice et influenceuse (vous savez, ces nouveaux métiers…) connue et reconnue ; belle, souriante, talentueuse, ambitieuse, elle mène sa carrière artistique avec les moyens dont elle dispose. La semaine dernière, la police l’a trouvée nuitamment avec un homme, en compagnie d’une troisième personne, une autre dame. Mais, horreur, l’homme est marié, la nuit est avancée et les trois personnes se trouvaient dans l’appartement de l’homme. Son épouse offensée, prévenue par un bon samaritain, délateur pour l’occasion, se présente sur les lieux, frappe à la porte. Face au silence, elle appelle la police qui interpelle tout ce beau monde, sous la supervision du parquet. Tout est légal, tout est nickel, tout est normal, mais l’affaire s’emballe, les langues se délient et la morale se délite.

Le jeune femme Ghita Asfour est célèbre. Une fois placée en garde à vue, c’est le déchaînement sur les réseaux, photos et commentaires plus ou moins graveleux en renfort. Les uns demandent la tête de l’actrice, d’autres recommandent de couvrir son honneur et de la protéger de la vindicte publique. Certains médias amplifient l’affaire, et les internautes, cachés derrière leurs claviers, s’acharnent, donnent libre cours à leurs pulsions rentrées et leurs fantasmes contrariés*.

Mais, coup de théâtre. Le parquet décide de libérer les trois personnes en garde à vue et de classer l’affaire. Fin de cette histoire, et début d’une énième polémique sur les libertés individuelles, mais aussi la propension de la société à ne pas respecter l’esprit de la loi. En effet, être interpelé ne signifie pas être condamné, comme cette affaire en a apporté la preuve. Mais aux yeux du tribunal populaire, celui des réseaux sociaux et de l’insoutenable légèreté de nos compatriotes, Mme Asfour a déjà été condamnée ; sa photo a fait le tour, et même ceux qui ne la connaissaient pas (comme l’auteur de ces lignes) ont appris son existence.

Nous avons donc deux problèmes dans ce pays, l’un juridique et l’autre éthique.

1/ Pour le juridique, on revient à ces fameux articles attentatoires aux libertés individuelles. L’hétérosexualité hors mariage est interdite, l’adultère est réprimé par la loi, et l’homosexualité est criminalisée. Cela ne justifie pas tout, et encore moins de mettre la sexualité des Marocains sous le contrôle de l’Etat. Le principe est très simple : des adultes consentants doivent pouvoir agir comme il leur semble s’ils n’enfreignent pas la morale publique, et la loi ne doit pas s’immiscer dans les alcôves. Et en cas d’adultère ? L’affaire doit rester dans le cadre du couple. L’observation des règles religieuses ne devrait pas permettre de brider les libertés des gens, surtout que bien des règles existent, qui contreviennent aux prescriptions de la religion.

Cela n’est plus un luxe, ni une demande du « camp progressiste » au Maroc ; il s’agit de relever le défi que nous nous sommes fixé en demandant à organiser la Coupe du monde de football, ce qui sera chose faite en 2030. Il devient urgent d’aménager les articles du code pénal qui criminalisent les relations sexuelles hors mariage, car il n’est pas du rôle des procureurs et des juges d’interpréter un article clair et explicite, comme cela a été courageusement fait pour l’affaire de Mme Osfour.

Quand une loi est adoptée dans une société quelconque, elle ne prévoit généralement pas d’exceptions pour les étrangers. Le visiteur d’un pays est tenu de respecter les lois de ce pays. Comment fait-on alors avec tous ces touristes qui viennent dans notre pays, homos ou hétéros non mariés ? Pourquoi leur permet-on ce qu’on refuse aux nationaux ? En 2030, devrions-nous assouplir nos règles pour ne pas nous couvrir de ridicule, sous peine de devoir demander leurs actes de mariage à ces millions d’étrangers qui viendront chez nous ? Quand on a des ambitions comme celles qu’affiche le Maroc, on aménage ses lois, on les développe, on les modernise, on les adapte aux réalités du temps. Et même sans le Mondial, que signifie d’avoir des lois que les gens ne respectent pas ? Pourquoi imposer une réglementation de l’amour et de la sexualité alors qu’elle ne peut raisonnablement être respectée ? Mme Asfour, dont l’affaire a été classée, est une célébrité ; que se serait-il produit si cela n’avait pas été le cas ? Que se passe-t-il pour des jeunes pris en flagrant délit de relation intime ? De combien de procureurs courageux comme celui qui a décidé de classer cette affaire disposons-nous ?

L’Etat devrait davantage s’occuper de faire des lois adaptées et de se préoccuper de leur application plutôt que de jouer les voyeurs d’alcôves et les redresseurs de ce qui n’est pas forcément un tort ou un crime.

2/ Pour l’éthique, nous avons une société sévère, où le jugement est facile et la condamnation précipitée. La société est d’ailleurs aussi éthique qu’hypocrite, car combien sont-ils ceux qui ont jeté la pierre à Mme Asfour et qui adoptent le comportement qu’ils reprochent à la jeune femme ? Quel sort réserver à tous ceux qui ont publié les photos de Mme Asfour alors même qu’elle n’avait pas encore été jugée ? Ce faisant, ils l’ont jugée et condamnée au tribunal du peuple, celui des réseaux sociaux, qui ne connaissent ni droit de la défense ni oubli.

Ces gens, cette population acerbe acceptent pourtant la laïcité de fait au sein de notre société, admettent que certains prient et d’autre pas, se reconnaissent dans un code pénal qui ne décapite pas les meurtriers ni ampute de la main les voleurs, côtoient à longueur de journée les bars et les camions de livraison des bouteilles de ces mêmes bars. Pire, souvent, ils ont dans leur famille des sœurs, des cousines, des nièces qui entretiennent des relations hors mariage avec des hommes, sans que cela les offusque outre mesure.

Il nous faut apprendre à être plus tolérants, à nous inscrire plus dans le vivre-ensemble, à accepter l’altérité. Et cela, cette éthique sociale, ce n’est pas dans le code pénal qu’on l’apprendra, mais dans les écoles, la télévision, la filmographie, les publicités … Dans la volonté politique de faire évoluer l’ensemble.

 

Aujourd’hui, une femme a été innocentée au regard de la justice, mais elle devra composer avec l’image qu’a donné d’elle la société. Et les Marocains vivent avec une double justice, celle des juges (ou une moins une partie croissante d’entre eux) qui essaient d’adapter les lois et de s’adapter aux réalités sociales, et celle de la rue, des réseaux sociaux, des messageries, qui juge, accable, condamne et souvent détruit ses « victimes ». C’est là que le problème se pose, celui des lois inadaptées et qu’on applique malgré leur inapplicabilité, celui des juges qui se conforment à la lettre des lois et non de leur esprit, et celui du tribunal populaire, souvent aigri, rarement équitable, jamais légitime.

Aziz Boucetta

 

 

*Chouf TV est le premier média à avoir rapporté l’affaire, fidèle à sa ligne éditoriale. Une des trois personnes interpelées est une célébrité, et il est donc normal que son nom ait filtré. ChoufTV n’est pas responsable de l’ampleur prise ensuite par l’affaire ; son directeur s’en est longuement expliqué. Les attaques contre ce média sont de la même nature que l’acharnement contre Mme Asfour, celui du tribunal populaire, qui juge et condamne sans débat contradictoire. ChoufTV est, qu’on le veuille ou non, une véritable success story marocaine : 18 millions de visiteurs uniques et 66 millions de vues, par jour, avec 220 collaborateurs.

 

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