(Billet 1200) – Et finalement, il a parlé...

(Billet 1200) – Et finalement, il a parlé...

Le chef du gouvernement Aziz Akhannouch a parlé, enfin, à la télé publique, s’adressant directement aux Marocains ; le dernier exercice du genre remonte à début 2022. Et s’il y a bien une chose qui a fonctionné pour ce dernir entretien, c’est l’audimat. On est toujours curieux de regarder et d’écouter un chef de gouvernement, surtout quand il ne s’exprime jamais. Et alors ? Alors, c’est bien, pour ne pas dire rien.

A quoi pouvait-on s’attendre ? Peut-être à voir un responsable de premier plan, peu familiarisé avec les techniques de communication mais qui, entretemps, aura appris. Las… Alors au moins un dirigeant politique qui connaît quelques chiffres qu’il place judicieusement dans sa prestation ? Même pas. Hier soir, Aziz Akhannouch a fait du Aziz Akhannouch. Peu, voire pas à l’aise au début, il a pris de l’assurance à mesure que l’entretien avançait. Les journalistes étaient gentils, conciliants, parfois complaisants, se refusant à toute contradiction, ce qui nuisait à la bonne tenue de l’ensemble.

Et pourtant, on ne peut nier l’effort accompli par les communicateurs du chef du gouvernement, qui ont préparé cette émission avec tout le soin possible, et cela se voyait dans les petits détails des questions convenues (football), des affaires embarrassantes (dessalement de Casablanca), des éléments de langage (ambitions…). Mais en ayant fait l’économie d’un robuste média training ou de nombreuses séances de coaching, l’exercice télévisé de M. Akhannouch n’a fait que confirmer la faiblesse oratoire et l’encore plus grande indigence charismatique du personnage.

L’erreur est donc de considérer le passage à la télé du chef du gouvernement comme ce qu’il devrait être : un grand oral du chef du gouvernement. Parce que Ssi Akhannouch est un dirigeant d’entreprise habitué à être obéi et un chef de parti dont les membres ne demandent qu’à obéir ; il n’est en aucun cas et ne sera jamais un leader politique. Et ainsi que le disait un des hauts cadres du RNI à fin 2021, « n’attendez pas du chef du gouvernement qu’il soit un communicateur, il ne l’est pas. Lui, il est là pour l’opérationnalisation, l’o-pé-ra-tion-na-li-sa-tion ; sa mission est de délivrer, et il délivrera ». Tout au long de ces quatre années, Aziz Akhannouch confirmera cet avis ; il parle peu, mais il fait. Et c’est le plus important.

Sous son mandat, le Maroc aura sensiblement avancé sur un certain nombre de dossiers et de domaines d’action gouvernementale. Charte d’investissement, droit de grève, couverture médicale universelle, santé, écoles pionnières, gestion hydrique, aide directe… bien des choses ont été réalisées, bien des réglementations ont été adoptées, des lois et des textes, des règles et des décisions sont désormais en place. On ne peut donc apprécier M. Akhannouch sur son seul charisme, car on le sait mauvais communicateur. Non, il faut le juger sur ce qu’il a délivré, ce qu’il a fait car, entendons nous, c’est pour cela qu’il est là, et pour rien d’autre… Certains rétorqueront qu’il existe des soupçons de conflits d’intérêt, de délit d’initié (qui n’est pas un délit sur nos terres), d’enrichissement illicite, mais cela est du ressort de la justice, si reddition des comptes il y a un jour.

Mais on ne peut raisonnablement pas soutenir que ce gouvernement Akhannouch n’a rien fait ni rien réalisé. Ce serait aussi injuste que faux. Nous avons eu, quatre années durant, un gouvernement de technocrates, même enrobés d’un chouiya de politique, qui ont jeté les bases d’un Maroc nouveau, sachant que les conditions de travail de ce gouvernement étaient particulièrement dures et imprévisibles : sortie Covid, guerre en Ukraine, sécheresse insistante, séisme ravageur…

Et de la même manière qu’on ne peut évaluer un politique sur ses compétences technocratiques, il ne faut pas tenter de juger un techno, ce qu’est M. Akhannouch, sur ses talents de politique, qu’il ne possède pas. Il l’a prouvé dans ses réponses aux questions politiques, confirmant son mépris pour l’opposition, même s’il a essayé de le dissimuler, reléguant l’idéologie du RNI (si tant est qu’elle existe) à un affrontement avec celle du PJD. Si la lutte contre le PJD est innée pour le PAM, au RNI, elle est acquise, avec M. Akhannouch. Cet homme est un bon technocrate, cochant toutes les cases du techno idéal : verbe incertain et recours effréné aux chiffres, simplification à l’extrême de l’action politique en la réduisant au numérique, autosatisfaction infinie et condescendance à peine voilée. Au final, il n’aura pas été convaincant, mais alors pas du tout, malgré les éléments de langage servis et le langage fleuri des journalistes.

Alors donc, maintenant que le chef du gouvernement a passé cette épreuve et qu’il a laissé tant de questions sans réponse (majorité, dessalement de Casablanca, retraites, emploi, agriculture, …) tout en évitant de s’entendre poser plusieurs autres questions gênantes (Samir, emploi, conflits d’intérêt, enrichissement illicite, IDE et endettement, …), qui sera ce ou cette ministre qui accepterait d’assurer le service après-vente ? N’en déplaise à M. Akhannouch et au RNI, qui chantent et louent la cohésion de la majorité, c’est leur affaire et non celle des autres partis du gouvernement car, en effet, il n'existe plus de majorité et d'opposition dans le champ politique marocain, mais le RNI versus les autres partis. Qui sera donc le ou la ministre ou dirigeant du RNI qui consentirait à soutenir son président en précisant ce qu’il a omis de dire et en rectifiant ce qu’il a mal dit ? Qui sera ce ou cette ministre PAM ou Istiqlal qui accepterait venir à la télé confirmer ce qu’a dit son chef, entre autres sur la cohésion de la majorité ? Gageons qu'il n' y en aura aucun, car les ministres RNI semblent être muselés par le chef, et ceux de autres partis doivent sourire, et souffrir, en silence.

Dans un pays aux multiples fractures sociales et économiques, le gouvernement Akhannouch aura servi comme une sorte d’attelle médicale, prévue pour consolider, renforcer, atténuer les douleurs et prévenir l’aggravation des fractures. Mais une attelle, c’est forcément provisoire ; on la pose, on attend, on la retire… puis on rééduque. Dans notre pays, l’attelle, ce sont les technocrates qui ont agi dans l’urgence en plaçant les cadres juridiques et réglementaires ; et maintenant, la rééducation serait un gouvernement politique, pour mettre de l’âme dans ces réformes, leur apporter de la couleur et de la sensibilité, et y faire adhérer les populations. Ce sera pour 2026, et tous les médecins du monde vous diront que si on garde une attelle plus longtemps que nécessaire, on subit des troubles dans le corps, on relève de raideurs dans l’organisme, on altère un fonctionnement normal et on dérègle l’ensemble !...

Retenons de cette heure et quart d’entretien bien préparé et soigneusement balisé que M. Akhannouch s’est montré pour ce qu’il est, en l’occurrence un technocrate, mais un technocrate qui aura écouté ses communicateurs et communiqué. L’opinion publique reste sur sa faim, attendant la suite, si suite il y a.

Aziz Boucetta

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