(Billet 1238) - Pourquoi l'Istiqlal doit quitter la majorité, maintenant !
« Un politicien pense à la prochaine élection ; l'homme d'Etat, à la prochaine génération.», professait le penseur américain James Freeman Clarke voici deux siècles déjà. C’est toujours le cas, aujourd’hui, et c’est particulièrement applicable à l’Istiqlal et spécialement à son actuel secrétaire général. Et Nizar Baraka peut même faire les deux, et être aussi les deux, homme politique et homme d’Etat. Il faut juste qu’il… s’indigne !
Quand on lui pose la question de savoir pourquoi le parti de l’Istiqlal ne quitte pas cette coalition gouvernementale qui tombe en ruine, la réponse est invariable : « Nous sommes un parti responsable et nous tenons nos engagements ! ». C’est beau, mais quand une formation politique, membre d’une alliance, voit cette dernière verser dans la décrépitude, sa responsabilité n’est pas de s’accrocher au navire qui sombre, surtout quand elle n’est nullement comptable des différentes turpitudes, erreurs et errements de ses alliés. Et ses alliés sont, en l’espèce, le PAM et le RNI ; le premier a un problème d’identité et de direction, et le second a un problème d’éthique et de communication.
L’Istiqlal, aujourd’hui, semble naviguer à vue, sans disposer ou en refusant de s’aider d’une longue vue. Or, que montrerait cet outil ? Un Maroc qui s’apprête à accueillir sur son marché du travail et dans sa société une nouvelle génération, la Génération Z, avec ses codes et ses exigences, son impatience et sa rationalité propre. Cette génération s’est exprimée, à sa manière digitale, en octobre ; puis les choses se sont calmées, et nos jeunes attendent désormais l’échéance électorale de l’été 2026. Sans véritablement se calmer… ils sont juste en pause.
Que pourra bien dire le corps istiqlalien à son électorat une fois l’heure de la campagne venue, quand il s’entendra reprocher ou même tancer d’être resté en solidarité avec un gouvernement responsable de tant de difficultés ?… Un gouvernement Akhannouch qui a certes délivré des choses (on ne peut lui nier cela sous peine de nihilisme) mais dont les deux premiers partis et plusieurs de leurs dirigeants se sont livré à des pratiques très particulières et qui, franchement, sont rarement à la hauteur des attentes de ce pays qui pourrait être, vraiment, grand !
Devant les membres du Conseil national de son parti, ce week-end, Nizar Baraka a affirmé que l’Istiqlal a toujours porté en lui « l’amélioration de la pratique politique et démocratique dans notre pays » ou qu’il a toujours œuvré dans le sens de « la réconciliation des citoyens avec la chose politique » ; mais cela crée des obligations, dont la première est de commencer par soi-même, en l’occurrence en nettoyant ses écuries d’Augias, puis à travailler à faire des émules sur la scène politique de ce pays. Mais non, l’Istiqlal, fait de la politique… souvent politicienne, et fait montre d’éducation et d’élégance, dans un monde politique qui en manque singulièrement.
Alors, question : Comment un parti peut-il travailler à « réconcilier les Marocains avec la politique » alors même qu’il persiste à se maintenir au sein d’une coalition gouvernementale qui les a, gravement, éloignés de cette même politique ? Car, au final, que voient les gens ? Une inflation réelle sur les produits alimentaires et de première nécessité, avec un pouvoir d’achat qui se dégrade dangereusement, et un gouvernement qui les toise. Et qu’entendent les gens ? Des conflits d’intérêt en cascade, des soupçons d’enrichissement illicite qui se multiplient, des législations bridant certaines libertés.
Comment donc ce parti, la campagne électorale venue, et malgré tous les ajustements que M. Baraka a demandés en interne à ses compagnons, justifiera-t-il d’être resté dans un gouvernement qui a mis une partie de la population, la plus jeune, dans les rues, et qui a sérieusement irrité les moins jeunes, restés chez eux mais n’en pensant pas moins ? Comment expliquera-t-il être resté allié à des gens qui font dans le conflit d’intérêt, la dissimulation fiscale, l’entrepreneuriat problématique, l’amateurisme politique, … ? Comment se disculpera-t-il, l’Istiqlal, quand on lui demandera le sort de la fameuse mission d’information sur les viandes et quand on le sermonnera de n’avoir pas soutenu une commission d’enquête sur les médicaments ou de n’avoir pas donné suite aux soupçons de conflits d’intérêts sur des équipements (comme l’usine de dessalement de Casablanca) qui relèvent, pourtant, du ministère de l’Eau et de l’Equipement ?
Pour améliorer la pratique politique, comme le dit Nizar Baraka, il eût fallu lors de ce conseil national soumettre la question du maintien au gouvernement aux membres présents, à vote secret… il aurait été judicieux de négocier avec qui de droit pour sortir de ce gouvernement et lui offrir (pour rester « responsable ») le soutien critique de l’Istiqlal… Il aurait été prestigieux de donner suite aux revendications des jeunes GenZ en critiquant ouvertement le gouvernement, avec menace de sortie à la clé… Au début des années 90, Mhamed Boucetta avait posé des conditions à son entrée à la primature, ce qui lui avait valu ladite primature mais l’avait projeté dans l’histoire du pays, et en 2013, Hamid Chabat avait su quitter l'attelage gouvernemental PJD en procédant d’une manière que M. Baraka pourrait dupliquer, à son avantage, à celui de son parti, et même à celui du pays tout entier.
Que l’Istiqlal ne s’y trompe pas, il est le seul à jouer le jeu de l’engagement et de la majorité. Le PAM est à couteaux tirés en interne, n’ayant même pas été en mesure de maintenir son conseil national de fin novembre, et le RNI est clairement en campagne, sillonnant le pays à coups de longues caravanes, de larges chapiteaux, de puissants chauffeurs de salles et de ce qui ressemble fichtrement au culte de son président.
Il est encore temps pour le parti de l’Istiqlal de… faire de l’Istiqlal ! Le Maroc le vaut bien…
Aziz Boucetta
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