La Cour des comptes épingle, gravement, le gouvernement pour sa communication budgétaire

La Cour des comptes épingle, gravement, le gouvernement pour sa communication budgétaire

Dans un rapport de la Cour des comptes sur l’exécution du Budget de l’Etat pour l’année 2016, la Cour des comptes relève de sérieuses irrégularités, dont le mode de calcul du déficit public qui serait ainsi supérieur aux 4,1% du PIB annoncés. Et d’autres choses… Selon les données du ministère de l'Economie et des Finances, en effet, l'exécution du budget de l'année 2016 a dégagé un déficit de 40,6 milliards de dirhams (MMDH), représentant 4,1 % du PIB contre 3,5 % prévus, précise la Cour des comptes.

On apprend donc dans ce rapport que les recettes fiscales réalisées ont été en dessous des prévisions d’un montant de 2,1 milliards de DH (MMDH) et que les droits de douane ont dépassé les prévisions de 1,2 MMDH, performance imputée aux recettes réalisées suite aux opérations de contrôle et de redressement engagées par l’ADII ayant procuré au Trésor un montant supplémentaire de 2,8 MMDH.

Vérité (malmenée) des chiffres du déficit public

Mais le plus troublant est ce paragraphe pudiquement intitulé « nécessité d’améliorer la qualité des informations communiquées à l’occasion de la publication des résultats de l’exécution du budget ». Plus crûment, cela signifie que le gouvernement ne communique pas la réalité des chiffres ! Et voilà ce que dit, textuellement, ce paragraphe :

« Le montant du déficit budgétaire, communiqué par le ministère de l’économie et des finances arrêté à 40,6 MMDH, n’intègre pas toutes les dettes de l’Etat se rapportant à l’année 2016, notamment celles dues aux entreprises en termes du crédit de TVA et d’IS.

Les recettes de TVA sont considérées comme définitivement acquises alors que le Trésor sera appelé à en restituer une partie aux entreprises créditrices. A titre d’illustration, le stock du crédit de TVA des entreprises et établissements publics a augmenté en 2016 de 1,3 MMDH pour atteindre un total cumulé de 28,6 MMDH.

En outre, les dettes de l’Etat vis-à-vis de certains EEP, autres que celles liées au crédit de TVA, totalisent à fin 2016 un montant de 5,5 MMDH. Ce chiffre concerne six grandes entreprises publiques (OCP, ADM, ONEE, ONCF, ONDA et RAM). Ces dettes se rapportent au crédit d’IS, aux engagements pris par l’Etat dans le cadre des contrats programmes et à des prestations à caractère commercial.

Par ailleurs, la présentation des réalisations budgétaires fait état des recettes fiscales en montants nets, après déduction des transferts faits aux collectivités territoriales sur le produit de la Taxe sur la valeur ajoutée, de l’Impôt sur les Sociétés et de l’Impôt sur le Revenu. Or, cette présentation ne permet pas de renseigner sur le poids réel de la fiscalité ».

Confort (abusif) dans l’affectation des dépenses du personnel

Par ailleurs, il apparaît dans ce rapport que le traitement des dépenses du personnel est erroné :

« Pour pouvoir appréhender le poids réel de la masse salariale sur le budget de l’Etat, un retraitement de certaines données et la communication d’informations complémentaires s’avère nécessaire.

En effet, limité aux charges inscrites au titre fonctionnement du budget général de l’Etat, le total des dépenses du personnel de 104,3 MMDH représente 56 % du budget de fonctionnement et 11 % du PIB. Or, après retraitement des charges de personnel, en y ajoutant les contributions de l’Etat aux régimes de retraite et aux mutuelles et les subventions de fonctionnement allouées aux établissements publics administratifs, destinées à couvrir les salaires de leurs agents et salariés, le poids de ces dépenses enregistre des niveaux bien supérieurs. Il culmine à 64,3 % du budget de fonctionnement et 12,7 % du PIB ».

Comptabilisation (erronée) des dépenses d’investissement

La Cour des comptes constate que « la classification budgétaire de certaines dépenses comme faisant partie des dépenses d’investissement, telles que les acquisitions liées au fonctionnement normal des services de l’Administration, amplifie les réalisations en la matière d’autant plus que ces dépenses ne contribuent pas nécessairement à la formation brute du capital fixe ». Mauvaise foi du gouvernement Benkirane ou incompétence ?

Et ceci a une conséquence, ainsi présentée par l’organisme dirigé par Driss Jettou : « L’imputation d’une partie importante des dépenses d’investissement sur le chapitre des charges communes, au lieu de transiter par les budgets des ministères sectoriels concernés, risque de ne pas permettre d’apprécier à sa juste valeur l’ampleur de l’effort consenti par les différents intervenants dans l’action publique pour la réalisation de leurs politiques sectorielles. Elle pourrait même limiter le pouvoir d’impulsion de certains ministères sectoriels, voire nuire à l’efficacité et au rythme d’exécution de certains projets ».

Plus grave encore est cette affirmation implacable de la Cour : « Le budget d’investissement reste marqué par l’importance des reports de crédits d’un exercice à l’autre et par le taux d’exécution qui reste à améliorer ». Une affirmation qui détruit tous les effets d’annonce sur les investissements publics lancés par l’Etat.

Les Comptes spéciaux du Trésor, communément appelées « caisses noires »…

Voici ce qu’en conclut la Cour des comptes, de ces CST qui représentent, tout de même, 20% du total du budget de l’Etat : « Il se révèle que certains Comptes spéciaux du Trésor prennent en charge des opérations ordinaires ne revêtant pas de caractère particulier tant au niveau des dépenses de fonctionnement que d’investissement. Aussi, prennent-ils en charge une partie des dépenses liées aux attributions propres des ministères concernés ainsi que des dépenses récurrentes relatives à certaines catégories du personnel statutaire (primes, gratifications, indemnités ...), alors que ces charges peuvent être budgétisées dans des conditions ordinaires ».

Est-ce simplement grave, ou même délictuel ?...

La situation (alarmante) de la dette

Voici la réalité de la dette publique, telle que résumée par la Cour de Jettou : « L’encours de la dette du Trésor à fin 2016 a continué sa progression en passant de 629 MMDH à fin 2015 à 657 MMDH à fin 2016, enregistrant ainsi une augmentation de 28 MMDH, soit une variation de 4,5 %. L’essentiel de cette augmentation a été souscrit au niveau du marché intérieur avec plus de 26 MMDH, en progression de 5,4 % contre une évolution relativement limitée de la dette extérieure de l’ordre de 2 MMDH, soit 1,4 %. Il est à signaler qu’une partie non négligeable de la dette contractée sur le marché intérieur, totalisant 153,4 MMDH, est détenue par les régimes de retraite de base (Caisse marocaine des retraites : 61,4 MMDH, Caisse nationale de sécurité sociale : 26,3 MMDH, Régime collectif d’allocation de retraite : 52,5 MMDH et Caisse nationale de retraites et d’assurances : 13,2 MMDH). Par rapport au Produit intérieur brut, le taux d’endettement du Trésor ressort à 64,7 % contre 63,7 % à fin 2015 ».

Les recommandations (retenues) de la Cour des comptes

1/ Améliorer ses communications se rapportant aux finances publiques, en publiant les informations complémentaires permettant de mieux cerner la situation réelle des comptes publics en termes de recettes, de dépenses et d’engagements ; Dans ce sens, il convient de faire ressortir au niveau des ressources, les recettes fiscales brutes et les données sur les restes à recouvrer, et au niveau des dépenses, la part des recettes fiscales transférée aux collectivités territoriales, les dépenses exceptionnelles et les arriérés de paiement ; Ces informations sont de nature à contribuer à améliorer la lisibilité des informations afférentes aux finances publiques ;

2/ Intégrer dans les états d’exécution du budget et dans les informations complémentaires qui l’accompagnent, toutes les dépenses se rapportant aux charges de personnel, notamment les cotisations patronales aux régimes de retraite et de prévoyance, les primes et indemnités transitant par les CST et les SEGMA ainsi que les dépenses du personnel des établissements publics administratifs couvertes par les subventions de l’Etat ;

3/ Trouver une solution définitive à la problématique d’accumulation du crédit de TVA au niveau des entreprises et des secteurs d’activité concernés ;

4/ Rester vigilant quant à l’augmentation continue de la dette du Trésor et surveiller l’endettement des entreprises et établissements publics pour le maintenir dans des niveaux soutenables.

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