
(Billet 306) – La constitution 2011 finalement interprétée… par le virus !
Une pandémie ne se mesure pas seulement en nombre de morts, mais aussi par les changements et mutations qu’elle induit à terme. Et dans ce sens, la crise du Covid-19 sera certainement plus marquante que la grippe (dite) espagnole de 1918-1919, qui était ignorée de tous, et que la Seconde guerre mondiale, qui n’a pas freiné l’économie. Aujourd’hui, au Maroc et ailleurs, de grands bouleversements sont à attendre. Un monde nouveau nous interpelle.
Avant même que le confinement généralisé ne soit levé et que l’après-pandémie ne soit pensé, le monde apprend que toutes ses certitudes politiques, économiques et idéologiques si bien ancrées voici seulement un mois ont volé en éclats. Les grands espaces économiques et politiques ont vécu, avec une Union européenne qui ressemble à son ombre, qui se délite et périclite, et une fermeture historique des frontières en Amérique du Nord. La mondialisation, un temps sacralisée, sera remise en question, et la démocratie occidentale, posée comme principe universel et proposée comme système éternel, devra être révisée. Mais depuis l’avènement des réseaux sociaux, la démocratie a ouvert la voie aux populistes de tous bords. Le monde a eu du mal à le reconnaître, mais le choc induit par le Covd-19 y l’y aidera !
Cette crise aura montré l’importance et la pérennité du principe anthropologique du chef. En effet, le développement technologique et l’attachement aux libertés individuelles ont sévèrement érodé l’idée du leadership. Mais avec cette crise, nous avons vu que les peuples se sentent, ou veulent se sentir, en sécurité, avec des chefs qui assurent et qui les rassurent, dans un cadre juridique qui reste à penser, et où l’équation liberté-sécurité sera révisée.
Pedro Sanchez, Emmanuel Macron, Boris Johnson, Justin Trudeau et bien d’autres encore sont montés au créneau, tous ont édicté des mesures impensables il y a un mois, tous sont guettés dans leurs faits, gestes et propos. Certains s’en sont bien sortis, ayant pris les bonnes décisions et ayant montré une empathie pour leurs peuples ; à l’inverse, d’autres rendront des comptes, non pour avoir agrippé le pouvoir, mais pour ne pas l’avoir assez fait, pour le bien de tous et dans l’intérêt général.
Au Maroc, la constitution de 2011 aura clairement montré ses limites car une constitution est d’abord une classe politique chargée de la mettre en œuvre. Nous voyons qu’elle est inexistante, hésitante ou balbutiante. Dès le début de la crise, et même avant, c’est le roi qui était à la manœuvre, prenant ses décisions, donnant ses instructions et anticipant les choses, sans apparaître et pourtant omniprésent. La classe politique se tait, le gouvernement recule, et c’est le comité de veille qui gère.
Dans les démocraties, le mode d’accession au pouvoir transcende la façon de l’exercer, mais le caractère représentatif d’une démocratie a occulté un principe oublié depuis, celui de la confiance. Au lendemain de cette crise, quand le monde aura été valablement et sainement déconfiné, le besoin de confiance l’emportera sur la nécessité de la représentativité, et les principes démocratiques évolueront à cette aune. Cela prendra du temps et créera des tensions, mais cela sera..
Au Maroc, nous avons cette opportunité de la continuité séculaire du système politique, et nous avons vu que c’est la confiance qui a permis le confinement de la population, puis son accord pour des mesures de nature liberticide. Un simple communiqué du ministre de l’Intérieur, sans même le décret-loi qui n’a été adopté que cinq longues journées plus tard, a précipité tout le monde chez soi, et un autre, imminent, les y maintiendra.
Les dégâts psychologiques qui restent à évaluer et les destructions économiques dont nul n’a encore une idée précise éloigneront les électeurs potentiels de partis dramatiquement superficiels. Les élections sont prévues pour 2021, soit dans un an, et il est d’ores et déjà prévisible que les discours de campagne des états-majors et des candidats seront inaudibles et ne convaincront personne d’aller aux urnes. Aujourd’hui, pour les choses importantes, pour la vie, la confiance va au roi… c’est lui que les gens remercient pour son action contre le Covid-19, c’est à lui que s’adressent les Marocains bloqués à l’étranger et c’est de lui que relèvent les ordres décisifs donnés pour protéger la population.
Après la pandémie, il faudra reconstruire les âmes et l’économie. Pour cela, il faudra prendre de grandes décisions, certaines douloureuses ou difficiles, ou les deux. Aucun parti ne pourra disposer de la légitimité pour cela. L’état d’exception dans lequel le monde se trouve aujourd’hui a de grandes chances d’être maintenu, même sans le reconnaître. Le Maroc n’y échappera pas, à cette différence avec d’autres pays que notre système politique a l’avantage de l’ancienneté et de la légitimité. Un système de contre-pouvoirs serait sans doute plus judicieux et plus efficace qu'un introuvable et utopique équilibre des pouvoirs.
Admettons-le, posons-le et croyons-y : on ne gérera pas le monde d’après le Covid-19 avec les instruments d’avant, il faudra en inventer d’autres !
Aziz Boucetta
Commentaires