
(Billet 308) – Akhannouch sur la sortie de crise : la dette ou la disette !
Cette pandémie du Covid-19 aura montré beaucoup de choses, les unes belles et les autres moins esthétiques. Les valeurs et les idées reçues qui faisaient marcher le monde changent, ou changeront. Une affirmation, cependant… En aucune manière, nulle part, les humains ne pourront réfléchir à l’après mai 2020 avec les instruments, les outils et les réflexes d’avant mars 2020. Au Maroc, on commence à penser au déconfinement, mais rares sont les politiques qui auront osé se prononcer publiquement. Aziz Akhannouch l’a fait dans une contribution publiée chez notre confrère Medias24.com.
Il n’est pas le seul… le PPS, puis l’Istiqlal, un peu le PJD, se sont essayés à l’exercice, mais au niveau programmatique partisan, ce qui dilue le message délivré et le place également sur le plan de l’habituel antagonisme opposition/majorité. Or, encore une fois, les paradigmes ont changé ; l’heure n’est pas plus au conflit politique que l’ère qui s’ouvre ne le permet. Alors il faut prendre ce qui se présente, contributions, idées, propositions… et argent. Et il serait également salutaire de réinitialiser les compteurs sentimentaux !
Aziz Akhannouch est le président fort chahuté d’un parti qui jusque-là crapahutait et tentait, avec un bonheur très relatif, de vaincre les différentes adversités. On peut l’apprécier ou non, mais aujourd’hui, toute personne de bonne volonté est à écouter. On en a le devoir et on n’a surtout pas les moyens de faire autrement.
Que dit Aziz Akhannouch ? En un mot, il affirme que la situation actuelle requiert du réalisme, beaucoup de réalisme, uniquement du réalisme. Selon l’académie française, en politique, le réalisme est « le principe selon lequel l’efficacité politique doit primer sur l’idéologie et les doctrines ». Et parmi ces doctrines à mettre sous cagoule, l’orthodoxie budgétaire. « L’Etat n’a donc d’autre choix que de s’endetter, de prendre des risques et d’accompagner les acteurs jusqu’à ce qu’ils soient remis sur pied », suggère le ministre de l’Agriculture et par ailleurs chef d’entreprise.
Pourquoi endetter l’Etat ? « Pour maintenir sous perfusion la demande et le pouvoir d’achat », car « ceux qui pensent que les engagements reportés devront être payés immédiatement, suite au déconfinement, font fausse route », assène Aziz Akhannouch qui, en patron, sait nécessairement de quoi il parle. Et pour ceux qui n’auront pas compris, il ajoute, un brin énervé, que « le discours donnant la priorité aux recettes de l’Etat et posant l’équation aujourd’hui en termes de dualité entre le sauvetage de l’Etat ou celui des entreprises, doit absolument cesser. Ceux qui prônent aujourd’hui une politique d’austérité font une grossière erreur ».
Donc, pour que les choses reprennent, petit à petit, il sera nécessaire de soutenir la demande des ménages dans un premier temps, puis l’offre des entreprises pendant longtemps, et tout cela passe par le prolongement de l’élan de générosité de l’Etat. Or, si générosité et austérité riment, elles ne se conjuguent pas. Il faudra prendre des mesures hardies et tailler à grands coups de serpe dans les doctrines d’antan.
La planche à billets tournera, l’inflation s’envolera et la dette s’aggravera, dit en substance M. Akhannouch, mais le pays survivra ; tel est le prix à payer aujourd’hui pour éviter d’avoir à payer plus, bien plus, demain. Et pour les puristes budgétaires qui hurleront à la mort, qu’ils prennent leur lorgnette pour scruter ce que font et s’apprêtent à faire les Européens, et qu’ils allument leur tablette pour lire ce que pense un spécialiste comme Dominique Strauss-Kahn. Ils seront surpris de constater que les budgets des premiers exploseront, fondés sur une nouvelle théorie économique à laquelle s’attelle déjà le second.
Le problème dans ce que propose Aziz Akhannouch est que le ministre des Finances rechignera, résistera, s‘opposera, luttera… puis s’inclinera. Ou partira. L’heure n’est plus aux technocrades… Il ne faudra pas non plus que des partis, quels qu’ils soient, quoiqu’ils furent ou quoiqu’ils prétendent devenir, s’arcboutent aux équilibres budgétaires… Et si la Commission Benmoussa, dans la nouvelle mouture de sa copie, s’inscrit dans la même logique d’endettement, alors le Maroc aura une chance de s’en sortir.
Le confinement durera environ et probablement deux mois, la pandémie et la menace qui vont avec ne passeront qu’avec un vaccin, soit dans huit à douze mois, mais l’effort de reconstruction économique, sociale et donc politique nécessitera plusieurs années.
« Devoir s’endetter pour surmonter un choc externe, subi, est normal ! », martèle Aziz Akhannouch. Il a raison : c’est soit la dette soit la disette, soit s’endetter, soit suffoquer.
Aziz Boucetta
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