
(Billet 310) – Le virus mute et évolue, le principe des libertés aussi !
Les hommes ont de tous temps inventé des lois qu’ils adoptent pour sitôt réfléchir à la façon de les enfreindre. On a érigé un véritable mât des libertés, puis on a planté à son pied un lierre de dérogations, qui monte, monte, au point de masquer le mât et de redessiner un nouveau schéma de libertés. Aujourd’hui, il en va de même avec ce projet d’application de traçage des personnes contaminées, même si les dirigeants, l’œil humide et la main sur le cœur, jurent que c’est uniquement pour nous protéger de ce méchant coronavirus.
Fort bien, mais on n’en croit pas un mot. Avec le progrès de la technologie, nos libertés d’humains régressent et se réduisent comme peau de chagrin, lentement, progressivement et, à certaines périodes, cette régression des libertés s’accélère et franchit des seuils irréversibles. Et ces périodes sont celles des grandes crises, des chocs et des traumatismes, où les politiques foncent et osent face à des populations tétanisées, prêtes à tout accepter. En 2001, Ben Laden fait sauter le monde et depuis, prendre l’avion impose de se déshabiller physiquement et de se mettre à nu sur le plan des données personnelles ; on a même accepté que les autorités cherchent sur les réseaux pour tracer nos profils. Cela aurait été impensable avant…
Puis, au début des années 2010, et le terrorisme aidant toujours, les gouvernants ont imaginé de placer des caméras partout pour, n’est-ce pas, toujours nous protéger. Tollé, protestations des militants des libertés qui, le verbe haut et la bouche en O, ont dénoncé ces dérives. Quelques attentats plus tard de Daech, ici et là, avec des images bien sordides de décapitations, et voilà que toutes les villes d’orient, d’occident, du nord et du sud sont infestées de caméras de surveillance, avec l’assentiment de tous et en dépit des inaudibles ressentiments de quelques-uns… et on pense déjà, avec sympathie et bonne humeur, à la généralisation de la reconnaissance faciale !
Aujourd’hui, la pandémie ouvre la voie au traçage des gens, avec leur accord ! On parle de protection, de santé publique, de grandes valeurs… mais le fait est là, nous serons tracés, avec notre plein assentiment. Et après ? Et bien, comme pour les données personnelles, comme pour les caméras de surveillance, le système persistera, avec cette évolution que cette fois, les Etats nous auront convaincu d’adhérer volontairement à cette bigbrotherisation de la société.
Faut-il s’en offusquer pour autant ? Sans doute, sur le principe, pour la beauté du geste, mais les faits sont là, et comme toujours têtus… Avec les progrès technologiques et les avancées informatiques, nos vies ont changé, se sont améliorées, et le champ des possibles humains s’est élargi. Il faut en accepter les revers et s’accommoder de ses travers, de bonne foi, puisque nous n'avons guère le choix.
Nous nous savons surveillés par des caméras dans les rues, nous savons que « ammi » Google établit nos profils et que « notre ami » Facebook accumule nos faits privés… on sait que nos PC nous espionnent, que nos smartphones nous épient, que nos données personnelles, en cas de demande de visa par exemple, sont épluchées, et conservées, même si on nous assure du contraire… Les Grandes Oreilles savent nos secrets, connaissent nos dérives, listent nos envies… C’est ainsi et cela ne changera pas, voire s'accentuera !
Nous crierons, nous protesterons, nous fulminerons, nous manifesterons… les politiques nous répondront, nous rassureront, créeront à tour de bras des organismes de protection des droits, mais rien ne changera cette nouvelle donne : le progrès implique une vie meilleure mais des risques accrus, criminels, terroristes et désormais sanitaires. En réaction, les moyens de surveillance se perfectionnent et la définition des libertés évolue.
De l’équation toujours non résolue entre liberté et sécurité, on a glissé vers cette autre équation encore plus complexe entre liberté et santé. Les menaces changent et deviennent globales ; il est, bien malheureusement, naturel que les contours des libertés suivent. S’y opposer est stérile, le dénoncer est inutile… s’en accommoder en maintenant la veille et en protégeant les lanceurs d’alerte est un bon compromis.
Aziz Boucetta
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