(Billet 315) – Quand le Makhzen est là, et que le peuple devient Peuple

(Billet 315) – Quand le Makhzen est là, et que le peuple devient Peuple

Le monde assiste depuis plusieurs années à des antagonismes et exaspérations politiques intenses, aidés par l’irrésistible progression de l’impact des réseaux sociaux sur nos vies. Entre les démocraties dites libérales, marquées par de rudes avancées illibéralistes, et les systèmes plus autoritaires, penseurs, analystes, politologues et sociologues ont multiplié les explications et les théories. Avec la crise sanitaire actuelle, ce même monde, dont le Maroc, doivent tirer de profonds enseignements…

Dans cette pandémie exceptionnelle et mortifère marquée par les retours nationalistes, on a vu que ce sont les Etats forts qui ont le mieux résisté. Et un Etat fort se fonde sur la personnalité de son chef et/ou sur une société disciplinée et mobilisable, parfois les deux, idéalement les deux. Outre les hallucinantes inepties proférées par des dirigeants comme Donald Trump, Jair Bolsonaro et Boris Johnson, et les dégâts qu’ils ont causés, les gouvernements occidentaux (à certaines exceptions) pataugent, tanguent, impuissants : Des décisions de confinement peu ou pas respectées, des dirigeants contestés, des hôpitaux dévastés, des populations révoltées...

Aujourd’hui, le monde entier se prépare à une sérieuse introspection où il ne pourra plus transporter dans le futur les habituels et actuels courants de pensée… les peuples sont ouvertement agacés et décontenancés et leurs gouvernants vertement dénoncés pour leur incurie, leurs réactions dépassées et leurs politiques passées. Au Maroc, on a coutume de critiquer le Makhzen, de vilipender ses représentants, souvent appelés serviteurs, de douter de sa bonne foi… mais depuis des décennies, le Makhzen et le peuple cohabitent, coexistent et avancent, cahin caha certes, mais avancent tout de même.

Or, qu’observe-t-on aujourd’hui dans le royaume, avec sa population à moitié illettrée, son économie brinquebalante et son système de santé si largement défaillant ? Une union sacrée entre gouvernants et gouvernés, en dépit de montées de colère ou de contestations de certaines décisions ou politiques. Et aussi, la discrète omniprésence du palais, et donc du Makhzen dans son acception historique, qui est à l’œuvre, à travers un Comité de veille économique en charge de décisions impensables voici à peine quelques semaines (effort bancaire, fiscal, budgétaire, financier, sécuritaire…).

C’est le roi qui a fait appel à l’armée, qui a fait fermer les mosquées (il préside le Conseil des Oulémas qui a pris la décision), qui a fait ouvrir le Fonds Covid-19 lequel, en un temps admirablement court, a mobilisé 35 milliards de DH, et ce n’est qu’un début... C’est le ministère de souveraineté qu’est l’Intérieur qui a ordonné le confinement sous moins de 24 heures (le décret-loi n’ayant été adopté par le gouvernement que quelques jours après), et le couvre-feu. Et le roi ne s’est même jamais exprimé publiquement.

Le peuple, pour sa part, uni dans la peur et uniformisé par l’état d’urgence décrété, a accepté toutes ces mesures prises par le Makhzen qui a agi rapidement, globalement et résolument. Rien n’aurait cependant été possible sans l’adhésion de ce peuple qui, rarement dans l’histoire du Maroc, aura ainsi été au centre des décisions et leur principal bénéficiaire. Ce « nouveau peuple » a accepté et endossé toutes les mesures édictées, même pénibles, et des solidarités inédites sont nées spontanément, mais demain, au sortir de la crise, il souhaitera être consulté, il exigera que les politiques soient concertées.

Jusqu’à aujourd’hui, existait une sorte de dialectique étrange entre le Makhzen et le peuple, faite d’unions et de collisions, de communions et de divisions. Puis avec le temps, des organismes sont apparus, de régulation, de contrôle, de revendications, qui ont su faire évoluer à bas bruit cette relation Makhzen/peuple. A partir de demain, et dès lors que le Makhzen a montré sa force pour démontrer sa capacité d’action et de réaction, le « nouveau peuple » demandera à être plus écouté. Il aura ainsi gagné sa légitimité… et une majuscule, devenant le Peuple.

Au lendemain de cette crise, plusieurs Etats occidentaux seront bousculés et leurs fondations ébranlées. Un monde nouveau aux contours inconnus point à l’horizon, et un Maroc institutionnel et aussi nouveau devra être pensé. Au lendemain du traumatisme qu’aura été le Covid-19 et à la veille de l’arrivée aux affaires d’une nouvelle génération, digitale native et de nature rétive, il faudra trouver un nouveau pacte entre le Makhzen et le Peuple, qui intégrerait les forces vives du pays, toutes les forces vives, et pas nécessairement dans un système largement calqué sur celui, désormais défaillant, de l’Occident.

La verticale de la relation entre le Makhzen et le Peuple devra tendre vers un autre type de rapport, avec l’horizontalité comme perspective, entre un Makhzen fort et un Peuple légitimé. Clairement, nous pouvons avoir un système démocratique, mais qui soit nôtre.

Aziz Boucetta

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