(Billet 316) – Que fait M. Laftit quand il stresse ? Il bloque la presse…
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- 27 avril 2020 - 20:05 --
- Billet
Nul ne contestera le rôle important, voire décisif, joué par le ministère de l’Intérieur et son titulaire Abdelouafi Laftit dans la gestion de la crise sanitaire inédite et exceptionnelle que vit le Maroc. Ses femmes et ses hommes mènent un travail remarquable sur le terrain et rappellent à tous qu’avant d’être agents d’autorité ou de maintien de l’ordre, ils sont d’abord Marocains et Marocaines. Cela n’empêche cependant pas de commettre des erreurs, comme cette prouesse de bloquer la presse durant cette période…
Cet état d’urgence sanitaire se fonde principalement sur le confinement imposé aux populations, mais il aura eu deux vies, chacun correspondant à un mois. Mais le propos du ministère de l’Intérieur a changé en 30 jours… Alors que le 19 mars, le ton était à l’explication et à la pédagogie, celui du 23 avril, jour de l’annonce du couvre-feu, était martial, suivi d’une liste de professions exemptées par la mesure de couvre-feu. Et la presse n’en fait pas partie, hormis « les cadres du pôle public et des radios privées ».
Conséquence désastreuse : on demande à une population de quelques 18 millions d’urbains de ne pas sortir de chez elle, et en prime, on la prive d’information diversifiée. Oh certes, les journalistes du pôle public et des radios privées ne s’épargnent aucun effort ni aucun risque, mais pourquoi interdire à leurs confrères du privé, sites et journaux papier, de continuer d’exercer leur métier qui, rappelons-le, est aussi porteur de danger ?
M. Laftit, en bon ministre de l’Intérieur qu’il est, peut être offusqué par le travail des médias, comme par exemple la récente diffusion des images d’un caïd présenté comme indélicat (ce qui au demeurant reste à prouver). Mais les médias immortalisent également l’action exceptionnelle et très dangereuse des policiers, gendarmes, agents d’autorité et forces auxiliaires. Ces gens sont remarquables mais grâce à l’idée un peu rapide et très simpliste de M. Laftit, ils ne seront pas remarqués.
Le ministère de l’Intérieur avait interdit en mars l’impression (et donc la distribution) des journaux, et on avait alors tristement opiné du chef, dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus. Aujourd’hui, il commet un acte aussi incompréhensible qu’inadmissible, car sa décision est tout simplement une forme de censure sans nom, ou au moins qui ne dit pas son nom. On ne peut gérer ainsi les médias avec des rustines administratives et sa position de surplomb ne peut tout lui permettre…
Il est certes irraisonné de demander à un ministre de l’Intérieur de privilégier l’information et de soutenir ses supports, non, on ne peut pas… Mais on peut exiger de lui qu’il laisse les médias faire leur travail en amont, même s’il doit sévir en aval (avec l’aide de la justice) contre les dérives et les dérapages. Il s’agirait en outre d’une mesure de salubrité médiatique car en supprimant le travail des journalistes professionnels et tenus à une déontologie précise, et avec des téléphones qui filment et photographient plus qu’ils n’appellent, le ministre ouvre une très large voie à la diffusion de fake news que jamais « le pôle public et les radios privées » ne sauraient affronter seuls.
Enfin, si M. Laftit maintient sa décision, il risque fort de ne pas trouver de médias privés – entretemps disparus sans fleurs ni couronnes – pour assurer l’information du déconfinement, des nouvelles règles sociales et de la situation totalement inédite qui sera celle du Maroc de l’après-couvre-feu. Suite à la décision du ministre, le Syndicat national de la presse marocaine a publié un communiqué au ton modéré, pédagogique et à l’énervement contenu. M. Laftit devrait en tenir compte car s’il est en charge de la sécurité publique, il ne peut ramener le pays en arrière et assurer le contrôle de l’information.
Le Maroc du Covid-19 vaut bien plus que cela, M. le ministre…
Aziz Boucetta
PS : Entretemps, M. Laftit s’est montré plus souple…
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