(Billet 793) – Visas Schengen et données personnelles : On le craignait… TLS l’a fait !

(Billet 793) – Visas Schengen et données personnelles : On le craignait… TLS l’a fait !

Un communiqué est mis en ligne sur le site de la CNDP, en apparence ordinaire. Il dit que TLS, vous savez, la fameuse société privée chargée de recueillir les dossiers de visas pour des consulats Schengen trop occupés pour recevoir les demandeurs, communique des images de vidéosurveillance desdits demandeurs à deux institutions gouvernementales étrangères. TLS est convoquée à la CNDP et elle s’entend signifier l’infraction qu’elle reconnaît. Les faits sont donc établis, et ils sont graves.

Mais tout cela peut néanmoins apparaître anodin, car les données personnelles des demandeurs de visas sont transmises aux consulats français, belge, allemand, italien …. Quel est donc le problème ? Le problème est que la société privée transmet d’autres données à des institutions étrangères, à l’étranger, dont on ne connaît pas la nature.

Le problème est, aussi que ces images sont transmises, précise la CNDP, toutes les 5 minutes, c’est-à-dire en flot quasi continu, une sorte de diffusion en direct des locaux de TLS. Quand on sait que pour la seule France, ce sont plus de 350.000 demandes par an, auxquelles s’ajoutent les demandeurs pour la Belgique, l’Italie, l’Espagne, chez TLS ou d’autres entreprises du même groupe Téléperformance, ce sont donc plusieurs centaines de milliers de personnes qui sont filmées, enregistrées, à leur insu, leurs images envoyées à « deux institutions gouvernementales à l’étranger », comme le dit la CNDP, et « en direct » !

« Institutions gouvernementales », c’est la désignation communément admise pour désigner des services de renseignements, d’intelligence. Autrement dit, cette affaire ressemble beaucoup à une activité d’espionnage, mais pas entre Etats, ce qui serait normal, voire même banal, mais d’un ou deux Etats qui accumulent des informations sur la population d’un pays étranger,  supposé ami, puisqu’il s’agit de TLS qui ne travaille qu’avec des Etats considérés comme amis.

Par ailleurs, information utile, TLS est inscrite au registre de lobbying au parlement européen, et ses domaines d’intérêts et de « discussions » avec l’institution de Strasbourg couvrent entre autres les champs de la politique de sécurité, des entreprises, de l’économie numérique et de la recherche et innovation, des domaines d’activité au cœur de l’intelligence économique d’à peu près tous les services de renseignement qui se respectent. Et c’est cette société, TLS, qui détient des informations personnelles sur des centaines de milliers de Marocains de tous horizons et de tous profils, médecins, entrepreneurs, financiers, étudiants, militaires et sécuritaires, chercheurs et ingénieurs... Autant dire que l’information est son domaine de spécialisation et qu’en matière d’information économique et autre, au Maroc, elle est au premier plan.

Sur le plan mondial, toujours dans une logique d’information, TLS est présente dans 90 pays, y collectant les informations sur environ 4 millions de personnes chaque année, au Maghreb, en Afrique subsaharienne, en Chine, au Moyen-Orient… 4 millions de personnes possiblement « tracées ». Mais il semblerait que son implantation la plus importante soit au Maroc, avec 7 centres et 15 en Chine, dont 6 ouverts.

TLS est en charge de la collecte des dossiers de visas pour la France, l’Allemagne, la Belgique et l’Italie, et à cette fin, elle recueille les informations habituelles sur la situation personnelle et financière, mais aussi les données biométriques. Ces informations doivent en principe rester confidentielles et être remises aux seuls consulats des pays concernés, mais dans sa charte de confidentialité, il est précisé que « TLScontact peut également collecter vos données à caractère personnel pour son propre compte en vue de l’exécution de services particuliers (sans lien avec les services susdits), pour les besoins de son activité ». Quant aux images de vidéosurveillance, « elles ne peuvent être conservées que pour une durée maximum d’un mois », toujours selon la Charte de confidentialité.

Pourquoi donc ces images de vidéosurveillance font-elles l’objet « d’un transfert régulier (chaque 5 mn) vers deux institutions gouvernementales à l’étranger », constituant une infraction au regard de la CNDP ? Quelles sont ces « deux institutions gouvernementales à l’étranger » ? Quelle sera la réaction de notre gouvernement à ce qui semble être une vaste entreprise d’utilisation frauduleuse et exhaustive de données personnelles mais aussi d’informations économiques et/ou technologiques sensibles et supposées être strictement protégées ? A la lumière de ces informations, quel est le sort de l’ensemble des données personnelles confiées à cette entreprise privée qui reconnaît elle-même pouvoir les collecter pour son propre compte et sachant qu’elle intervient au parlement européen pour des questions politiques, économiques, technologiques et sécuritaires ? De quel autre choix, pour l’obtention de leur visa, les citoyens marocains (et certainement ceux des autres pays couverts par TLS) disposent-ils pour l’obtention de leur visa Schengen ?

Cette affaire dépasse le cadre de la seule entreprise TLS mais, du fait que cette dernière œuvre pour le compte de plusieurs pays européens Schengen et qu’elle est active au sein du parlement européen, elle implique la responsabilité morale et sans doute juridique de la Commission européenne dont le vice-président Josep Borrell était dernièrement dans nos murs et qu’il y a bien voulu faire part de ses préoccupations au sujet des droits humains au Maroc.

Une clarification s’impose au niveau des Etats…

Aziz Boucetta

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