(Billet 935) – La dernière guerre d’Israël
7 octobre 2023, les combattants du Hamas pénètrent en Israël, venant de Gaza, tuent à tour de bras, assassinent, mutilent, et s’en vont, emmenant des gens avec eux et laissant mort et désolation derrière eux ; 1.400 morts, plus de 200 prisonniers. En réaction très prévisible, Israël réagit et s’en prend à Gaza, à la Cisjordanie et aussi au Liban. Sur Gaza, c’est un déluge de feu ; Tsahal s’acharne, détruit, bombarde encore et encore. Et ça continue… Mais il semblerait que ce soit là la dernière guerre d’Israël, au sort incertain.
Quand David se bat contre Goliath, c’est en toute logique Goliath qui doit l’emporter, mais il arrive, comme on le sait, que David prenne le dessus, par la ruse, la hargne, la persistance, la résilience ou les quatre. Il en est de même pour les Palestiniens, cette fois. Il y a déjà des milliers de morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers de déplacés, des centaines de milliers de gens sous le choc, des millions en colère, criant vengeance.
Et le terrible cycle de la vengeance s’enclenche. Hamas et les siens sont suicidaires et acceptent leur sort, n’ayant plus le choix face à la politique raciste du gouvernement extrémiste d’Israël. Israël est tout à sa vengeance, aveugle, sans nuance et en toute inconscience, et l’Etat hébreu est soutenu dans sa rage et ses ravages par des dirigeants occidentaux aussi aveuglés que lui.
Mais aujourd’hui, pour cette guerre, un fait nouveau s’est produit, aux conséquences incalculables pour Israël, en l’occurrence le lent mais irrésistible mouvement de retournement de l’opinion publique occidentale, mondiale. Globalement, on pense de plus en plus que si Hamas fut l’agresseur, la population civile palestinienne, désarmée et sans défense, est la victime, et Israël, agressé, est devenu l’agresseur sauvage, le tueur sans scrupule, assumé, à la conscience consumée.
Les Israéliens fructifient depuis des décennies le souvenir de la Shoah et de ses atrocités. Mais, tout à leur affaire, ils n’ont pas compris que les images en noir et blanc, de plus en plus souvent colorisées, n’ont plus le même poids face à d’autres, actuelles, terriblement réelles, de bombardements aveuglément meurtriers. L’opinion publique bascule…
Que sera donc le sort de cette énième guerre en Palestine/Israël ? Deux cas de figure se dégagent.
1/ Israël perd cette guerre, par la non-atteinte de son objectif d’ « éradiquer » le Hamas. Le spectre de la guerre de 2006 contre le Hezbollah est présent dans tous les esprits, ainsi que celui de la fin du mythe de l’invincibilité de Tsahal, confirmé ce 7 octobre et les jours suivants. Israël pèche par excès de confiance en ses capacités et dans le soutien occidental, mais celui- s’érode et les Israéliens doutent… Cette fois, l’Etat hébreu devra faire face à trois fronts : Gaza avec le Hamas décidé à se battre jusqu’au bout, le Hezbollah qui entre progressivement dans la guerre et l’Iran en embuscade, avec toute sa (réelle) puissance.
Si donc Israël perd la guerre, par épuisement, ou incapacité à tenir trois fronts, c’est la voie ouverte vers l’inconnu. Benjamin Netanyahou choisira la fuite en avant, en élargissant le conflit à la région, mais il perdra encore plus, avant qu’il ne soit destitué et remplacé par quelqu’un qui, de guerre lasse (sans jeu de mots), entamera les inévitables négociations, mais en situation de faiblesse. Ce qu’Israël ne veut pas comprendre, c’est que ses soldats aspirent à la vie, ceux de Hamas, du Hezbollah et les Gardiens iraniens de la Révolution cherchent la mort en martyrs !
2/ Israël gagne la guerre, mais ce sera alors au prix d’un innommable massacre qui révulsera, et retournera les opinions publiques occidentales, comme cela a déjà commencé à apparaître. Israël a d’ores et déjà perdu la guerre médiatique, la guerre des images, la guerre de la conscience. Ses informations sur les enfants décapités ne passent pas, mais ses exactions et ses crimes de guerre sont visibles, et couvrent, cachent ceux du Hamas, car il y en a eu aussi. Les opinions publiques occidentales découvrent la politique déséquilibrée de leurs dirigeants, deux poids deux mesures, condamnant la Russie pour ses actes mais encourageant Israël pour des actes similaires et à plus grande échelle, plaignant les Ukrainiens mais ignorant les Palestiniens qui souffrent bien plus.
Pour gagner la guerre, Israël doit d’abord inverser la tendance et en premier gagner la guerre de l’image qui révulse, gagner les cœurs qui tanguent. Mais face au scepticisme désormais puissamment croissant des populations mondiales, Tsahal en est réduit à diffuser des images du 7 octobre, afin sans doute de récupérer l’indispensable facteur de la guerre des cœurs qu’est l’émotion. On verra bien le résultat, mais que l’Etat hébreu étale ses morts au vu de tous et accepte de sacrifier ses ressortissants prisonniers en dit long sur le désarroi et le trouble collectif de la population israélienne. En un mot, Israël craint d’être lâché par les Occidentaux, ce qui pourrait bien se produire pour les mois ou les années à venir.
Dans les deux cas de figure, donc, Israël a déjà perdu, et il perdra encore plus quand les opinions publiques occidentales se retourneront d’une manière encore plus marquée. En effet, les dirigeants occidentaux (qui ne se rendent même pas compte qu'ils sont les complices silencieux de crimes de guerre) n’ont d’yeux que pour leurs sondages et n’ont aucun état d’âme à laisser massacrer Israéliens ou Palestiniens, pour peu que cela leur rapporte des suffrages, ou ne leur en retire pas. Or, leur électorat est en train de basculer…
Ainsi, qu’Israël perde cette guerre, avec les risques que cela peut comporter sur un embrasement général craint (et donc refusé) par l’Occident, où qu’il la gagne, au prix d’un massacre généralisé, la donne changera profondément, face à des opinions publiques occidentales bouleversées par cette barbarie sauvage et épuisées par les efforts de guerre en Ukraine et aujourd’hui pour Israël, face à des Etats arabes plus influents et moins soumis qu’avant à l’Occident, face à des puissances régionales qui équilibrent en la réduisant l’influence des Européens et Américains.
« Une méchante paix est pire que la guerre », disait Tacite. Une méchante guerre serait un prélude à la paix, pourrions-nous ajouter. Dans l’intervalle, la folie meurtrière d’Israël s’est enclenchée, la troublante cécité occidentale s’affirme et la préparation au combat-suicide du Hamas/Hezbollah se confirme. Mais le nombre critique de morts pour inverser la tendance n’est bien malheureusement pas encore atteint. Quand cela sera, les négociateurs des deux camps seront en sang et en guenilles, avec des Israéliens tendus et des Palestiniens désormais entendus.
Aziz Boucetta
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