(Billet 941) – La vision afro-atlantiste de Mohammed VI
Pour suivre et comprendre le discours royal de la Marche verte, il faut s’armer d’une carte de la partie nord-ouest du continent africain. Le roi Mohammed VI a développé une vision développementiste du Maroc et de son hinterland continental, commençant par la mise en valeur de la façade atlantique du royaume et finissant par son extension aux pays du Sahel, rongés par leur enclavement et ravagés par l’insécurité et l’instabilité.
Le roi part du principe simple que la marocanité des provinces sahariennes étant désormais reconnue par un nombre croissant de pays, soit explicitement soit en considérant l’initiative marocaine d’autonomie comme la meilleure solution au différend avec l’Algérie par milice interposée, la partie maritime du Sahara constitue donc la zone économique exclusive marocaine de 200 miles, extensible après avis de l’ONU. Les ressources renfermées dans cette partie lui appartiennent donc de jure, et bien sûr de facto.
Il est bien évidemment envisageable que cela aura des prolongements diplomatiques avec l’Espagne et d’autres pays, mais le Maroc, se considérant sur son territoire, négociera au mieux des intérêts de chacun, et des siens. Il est membre de la Commission des Limites du Plateau Continental de l'ONU et, à ce titre, est chargé de dire son mot son les plateaux continentaux dans le monde. Concernant le Maroc, au niveau du Sahara, les négociations sont déjà entamées, à bas bruit, avec les Espagnols. L’enjeu est entre autres, peut-être même principalement, les ressources en terres rares du mont Tropic, situé à égale distance entre les côtes sahariennes et les Canaries, et revendiqué par les deux royaumes.
Le roi annonce donc une grande politique d’aménagement des régions sahariennes du pays, dans le cadre d’une économie maritime intégrée, avec la pêche maritime, la logistique, les ports, les énergies renouvelables, la prospection des ressources off shore, le tourisme, l’infrastructure routière, portuaire, aéroportuaire…
Mais cette grande politique atlantiste est également afro-atlantiste. Le Maroc a lancé l’initiative de la création d’un cadre institutionnel regroupant les 23 Etats africains atlantistes, mais dans sa zone, le royaume annonce une coopération atlantique sous-régionale, doublement : avec le gazoduc Nigéria-Maroc et la douzaine de pays ouest-africains qui seront desservis en gaz, et aussi – c’est une première – avec les Etats du Sahel, enclavés et privés des ressources maritimes, halieutiques et géopolitiques que procure une ouverture sur l’océan atlantique.
« Pour favoriser l’accès des Etats du Sahel à l’océan atlantique, nous proposons le lancement d’une initiative à l’échelle internationale. Néanmoins, pour qu’une telle proposition aboutisse, il est primordial de mettre à niveau les infrastructures des Etats du Sahel et de les connecter aux réseaux de transport et de communication implantés dans leur environnement régional », dit le roi. L’idée, et la proposition, est donc de faire du Sahara marocain un « hub atlantique » pour ces Etats du Sahel, en vue d’une prospérité partagée avec ces pays.
Il faudra donc se lancer dans une très vaste politique logistique et infrastructurelle pour connecter ces Etats aux réseaux déjà existants et à construire. La vision est originale, car si les Etats du Sahel ne sont aujourd’hui appréhendés qu’à travers le triangle infernal insécurité/sous-développement/instabilité, le roi propose de les inscrire désormais dans ce fameux nexus de la paix/sécurité/développement si cher au chef de la diplomatie Nasser Bourita.
En d’autres termes, le Maroc est partageur et offre ses ressources atlantiques aux pays enclavés, encerclés, privés de tout et surtout de la considération internationale. Le souverain précise, en effet, que « cette initiative transformera substantiellement l’économie de ces pays frères et, au-delà, toute la région, le Maroc est disposé à mettre à leur disposition ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires ». Cela place la question du Sahara dans une autre dimension, géoéconomique et donc géostratégique, l’éloignant des calculs des grandes et moyennes puissances et la prémunissant contre les obsessions de grande et moyenne intensité.
Pour lancer et conduire au mieux cette vaste politique sous-continentale, le roi rappelle suavement le concept de « sérieux » qu’il avait significativement martelé lors de son discours du Trône. Le souverain en appelle donc aux concernés qui se reconnaîtront de « continuer de mettre du cœur à l’ouvrage ». Ainsi qu’il le précise, le but du roi « n’a jamais été de faire grief de quoi que ce soit »… mais ça vaut bien en le rappelant…
Il s’agit de la première fois que le roi Mohammed VI étend la question du Sahara à l’arrière-pays continental et la place dans une logique de prospérité partagée avec les Etats intérieurs. Cela montre encore plus qu’avant la pensée africaine, atlantique, afro-atlantiste de Mohammed VI qui avait dit, voici presque dix ans déjà que « l’Afrique doit faire confiance à l’Afrique ». Et dans l'Histoire, le Maroc a toujours été plus africain que méditerranéen.
Aziz Boucetta
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