(Billet 948) – Dessalement à Casablanca, une polémique inutile ?

(Billet 948) – Dessalement à Casablanca, une polémique inutile ?

Après un an et demi de procédures diverses et de tractations en coulisses, le pharaonique marché de dessalement de l’eau pour Casablanca a été enfin attribué ; c’est le groupement composé des Marocains Afriquia Gaz (groupe Akwa) et Green of Africa (Othmane Benjelloun), et de l’Espagnol Acciona. Et sitôt l’information devenue officielle, la polémique est née autour de cette « attribution à un consortium comprenant le chef du gouvernement Aziz Akhannouch ».

Prolégomènes. En mars 2022, le ministère de l’Equipement et de l’Eau lançait le marché consistant en la conception, le financement, la construction et l’exploitation sur 30 ans d’une station de dessalement de l’eau de mer pour sécuriser l’approvisionnement en eau potable de la région Casablanca-Settat, avec une capacité de 548.000 m3/jour (200 millions de m3 par an) extensible à 822.000 m3/jour (300 millions par an). Le projet assurera l’alimentation en eau potable de 6,7 millions de personnes et l’irrigation de quelques 5.000 hectares, et tout cela pour la modique somme d’environ 9 milliards de DH.

Trois entreprises étaient en compétition pour ce mégaprojet : Nareva (filiale d’al Mada, Maroc)/Suez (France)/Itochu (Japon), Somagec (Maroc)/SGTM (Maroc)/IDE Technologies (Israël)/Mitsui (Japon) et, enfin, Green of Africa (Maroc)/Afriquia Gaz (Maroc)/Acciona (Espagne). Et après 18 mois, c’est ce dernier groupement qui l’emporte. Les travaux démarreront début 2024 mais la polémique, elle, a déjà commencé avec, au centre et en cœur de cible, Aziz Akhannouch. Et cette polémique appelle à son tour quelques remarques.

1/ Le marché et la préférence nationale. Quelles entreprises marocaines ont-elles la taille nécessaire pour soumissionner à un tel marché ? Pas beaucoup. Et rien n’interdit à un chef d’Etat ou un chef de gouvernement de posséder des entreprises, à partir du moment où les règles sont respectées, et elles semblent l’avoir été. Le plus important est qu’un tel projet puisse être réalisé par un consortium où des Marocains sont présents, et peu d’entreprises en ont la capacité.

Il y avait donc deux groupements en lice, celui avec l’entreprise israélienne s’étant retiré depuis plusieurs mois. Il restait celui al Mada/Suez/Itochu et Green of Africa/Afriquia Gaz/Acciona. Il n’est pas certain que si c’était le premier groupement qui avait remporté ce marché, tant de critiques eussent été formulées, mais alors pourquoi pour le second ? Est-ce par et pour un certain respect que l’on n’aurait pas commenté le premier groupe s’il avait gagné la course au dessalement, ou est-ce par le puissant rejet que suscite la personne du chef du gouvernement qu’on critique, voire qu’on condamne, le second groupe ? La question mérite d’être posée…

… de même que mérite d’être posée la question de l’émergence de champions nationaux dans certains secteurs, qui deviendraient des compétiteurs internationaux plus tard. Si les Espagnols, Français, Japonais, Israéliens, Turcs et autres sont capables de soumissionner pour des grands marchés hors de leurs frontières, favoriser nos entreprises et les soutenir dans leur extension les rendraient capables de s’imposer à l’extérieur du Maroc.

2/ Conflit d’intérêt. C’est le principal grief retenu dans cette affaire, et bien évidemment contre le chef du gouvernement. Mais en vérité le problème n’est pas tant que l’entreprise du chef du gouvernement remporte un tel marché que d’avoir un chef du gouvernement en situation de posséder des parts dans une société d’une telle envergure (il ne la dirige plus depuis longtemps), ce qui implique qu’il prête le flanc à ce type de critiques et, plus généralement, à des soupçons de conflits d’intérêt. Quand les électeurs avaient voté pour le RNI, sachant qui était son président et sachant que le roi désigne le chef du parti arrivé premier aux élections, ces électeurs devaient savoir à quoi s’attendre. Le problème a donc commencé le 8 septembre, jour d’élections générales, et l’ennui est que le chef politique du gouvernement est également un chef économique d’importance, et que c’est gênant pour la bonne marche des institutions et la sérénité de l’édifice sociopolitique.

3/ Politique et géopolitique. On sait que, partout dans le monde, pour l’attribution de marchés de cette envergure, portant sur des « projets de souveraineté », la politique n’est jamais loin et la protection des intérêts supérieurs de l’Etat est dominante. La question de l’approvisionnement en eau potable d’une région comme celle de Casablanca est un peu plus complexe qu’une simple histoire de moins-disant ou non. Alors on peut se demander comment est-ce donc le second groupe qui a remporté le marché, et non le premier. C’est au moins un signe de maturité de nos décideurs quant aux priorités et intérêts de l’Etat, priorités et intérêts que l’opinion publique n’est pas supposée connaître, ou alors plus tard, bien plus tard.

On peut aussi, par exemple, s’interroger sur la nationalité des partenaires étrangers dans les groupements 1 et 2, respectivement un Français et un Espagnol. Peut-être pourrait-on y relever un élément géopolitique d’actualité très récente. Pas d’Israël, pas de France, pas de Japon, mais l’Espagne ; le fameux concept du « prisme » mis en pratique…

4/ La loi, rien que la loi. La question ici n’est pas de critiquer cette attribution, mais de s’assurer que tout a été fait dans les règles et le respect de la loi. C’est le département de l’Equipement et de l’Eau qui était à la manœuvre, le département dirigé par un Nizar Baraka dont la probité ne fait pas débat. On peut supposer donc que les conditions d’attribution ont été respectées, dans la limite des intérêts de l’Etat susmentionnés, comme on peut supposer que M. Akhannouch n'a pas eu son mot à dire même, s'il est le chef hiérarchique du ministre Baraka. Du moins, on l'espère, mais au vu de la composition de l'autre groupement, on peut en effet croire que le chef du gouvernement n'est pas intervenu...

Cependant, et face à la polémique naissante autour de ce projet et du groupement qui l’a emporté, les choses devraient être plus claires et une communication autour de cette attribution devrait être envisagée, pour précisément mettre un terme, si possible, à cette polémique.

 

Le plus important est que ce « projet de souveraineté » soit lancé et qu’il devienne effectif. Mais il est nécessaire de s’interroger, pour les prochaines élections, sur la pertinence d’avoir un chef d’entreprise, aussi talentueux soit-il, comme chef du gouvernement. Et le défaut, l’absence de communication de ce dernier l’expose encore plus à la vindicte de l’opinion publique car son mutisme est tellement imposant qu’il laisse même penser à une totale absence de convictions à défendre !

Aziz Boucetta

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