(Billet 961) – France-Maroc, une convalescence à petits pas
Ils ne se parlaient plus, s’ignoraient, sans le dire, sans le reconnaître, sans l’annoncer, mais ils se tournaient le dos. Une crise suivait l’autre, une attaque s’ajoutait à la précédente et se cumulait au reste, au point qu’une réaction en chaîne, antagonique, s’est installée, dans la discrétion ou le déni ; la France minimisait et le Maroc se taisait. Puis, lentement, et peut-être même sûrement, les contacts reprennent, mais dans une atmosphère encore teintée de méfiance.
On a le sentiment de deux personnes très proches qu’un vieux malentendu, brusquement resurgi, a éloignés, chacun éprouvant de son côté une légitime colère qui remonte loin dans le temps, fondée sur des comportements particuliers et des non-dits de plus en plus pesants avec le temps qui passe. Dans un siècle où le monde change de forme et les alliances de normes, la place de la France au Maroc s’estompe progressivement, le royaume ayant opté pour une diversification de ses activités et de ses partenaires. Le rôle anciennement « protecteur », mais « protecteur intéressé » tenu par la France au Maroc des décennies durant ne pouvait plus être et se réduisait d’un président à l’autre depuis une vingtaine d’années.
La France politique et économique vit mal de ne plus se sentir « chez elle » au Maroc, et le Maroc se défait de cette envahissante emprise française. De cela a résulté une rancœur mutuelle ; la mauvaise lecture stratégique et l’insouciance du président Macron et de son entourage ont fait le reste.
Mais après une période de glaciation dans les relations, commencée brutalement voici trois ans puis soigneusement entretenue par les deux parties, il semblerait que le temps de la discussion soit arrivé. Plus comme avant, mais discussion quand même entre les deux acteurs d’une relation profondément abîmée. Le rapprochement doit beaucoup à la persévérance de l’ambassadeur de France au Maroc, toute en discrétion, puis la réponse du Maroc à travers la nomination d’une ambassadrice à Paris, rapidement agréée, et ensuite par la visite début octobre d’une mission militaire française à Laâyoune, à la fois silencieuse et bruyante, et encore par la timide mais visible avancée à l’ONU avec la petite phrase du représentant de France à l’ONU à la suite du vote de la résolution 2703 sur le Sahara…
Une multitude de signaux faibles qui prennent de l’éclat la semaine dernière avec la visite au Maroc des deux plus hauts responsables sécuritaires français, reçus à grand bruit par le patron des polices marocaines. Des rencontres qui revêtent une très grande importance pour Paris du fait de l’inquiétude des Français quant à la sécurisation de leurs Jeux olympiques. La coopération sécuritaire figure en première place du package de « conditions » françaises pour faire évoluer la position de Paris sur la question du Sahara ; cette coopération semble aujourd’hui, sinon acquise, du moins en bonne voie de reprendre. Et elle est tellement importante au regard de Paris que Rabat serait en droit d’attendre une annonce diplomatique en échange.
Mais rien n’est encore gagné. La question des visas est toujours posée, malgré les affirmations de l’ambassadeur de France (le cas TLS pose encore problème), et quand bien même le serait-elle que le mal est fait, la défiance installée, la France en recul en économie et le français dans les échanges. Cette décision désastreuse de 2021 a en effet touché tout le monde, dont les derniers défenseurs de la France dans le royaume. La France s’est ainsi coupée et privée de ses relais culturels, économiques et sociaux.
Une coopération triangulaire entre la France et le Maroc en direction de l’Afrique francophone est encore plus compromise. D’un côté, Paris est de plus en plus indésiré dans cette zone du continent et de l’autre, l’approche développementiste de Rabat, avec sa nouvelle stratégie afro-atlantiste, requiert des partenaires ayant une vision, une réputation et des moyens. Avec les Emirats Arabes Unis, c’est le cas.
Enfin, la position française à l’égard des massacres en cours à Gaza et les débats intérieurs sur l’immigration, suivis au Maroc, ne concourent pas spécialement à redorer l’image de la France au Maroc.
Et ainsi, après plusieurs années d’erreurs diplomatiques et d’errements stratégiques, la France doit consentir bien des efforts pour espérer reprendre la place qui fut la sienne en Afrique francophone en général, au Maroc en particulier. Malgré l’écart de développement et de richesse entre les deux pays, Paris a davantage besoin de Rabat que l’inverse. La raison en est évidente : la France appartient désormais à un bloc occidental moralement démonétisé et en déconstruction économique, et le Maroc multiplie ses partenariats, avec entre autres Russes et Chinois qui le prémuniraient contre un brutal retournement « punitif » des Occidentaux à l’ONU pour la question du Sahara.
La convalescence ne mène pas toujours à une guérison et une démarche à petits pas peut parfois s’avérer longue, trop longue pour être concluante. Mais personne ne peut nier qu'il se passe quelque chose, aujourd'hui, entre Paris et Rabat.
Aziz Boucetta
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