(Billet 968) – En 2023, le Maroc à marche forcée, mais pas assez…

(Billet 968) – En 2023, le Maroc à marche forcée, mais pas assez…

S’il y a une idée qui se dégage globalement pour ce Maroc de 2023, c’est qu’il voit grand, qu’il projette grand et se projette loin. De grands chantiers nationaux en positions internationales, conquises ou en cours, le royaume s’est cette année montré particulièrement décomplexé. Mais comme toute chose en ce bas monde, il y a les hauts et il y a aussi les bas. Tour d’horizon.

En économie, l’événement qui sera retenu de cette année est cette inflation à deux chiffres du début d’année. La combinaison des aléas climatiques, de la conjoncture internationale et d’une coupable désorganisation des marchés a fait envoler les prix, essentiellement ceux des denrées de première nécessité. En mars, les choses ont failli déraper et l’envolée des prix échapper à tout contrôle, mais des mesures gouvernementales d’urgence et une grosse dose de baraka ont fait le job. Ouf !

Le Maroc a connu aussi bien des succès cette année. L’événement phare est bien évidemment le séisme qui a frappé la région d’al Haouz. Que les 3.000 morts reposent en paix et que les autres puissent se relever de ce drame, mais le Maroc, Etat et population, a montré une singulière capacité d’action, de réaction et de réactivité faites d’une extraordinaire solidarité citoyenne et d’une quasi parfaite organisation des opérations de secours, impliquant tous les grands corps d’Etat.

En matière de gestion du stress hydrique, le royaume a construit une interconnexion entre les bassins du Sebou et du Bouregreg, déroulant une tuyauterie de 70 km en 6-7 mois, pour un montant de 6 milliards de DH. A quoi reconnaît-on un projet réussi ? Aux différentes récupérations dont il fait l’objet, et cette connexion fait l’objet de plusieurs actions allant dans ce sens… Il y a aussi cette annonce de l’entrée du Maroc dans le club très fermé des constructeurs d’automobiles ; on attend les prochaines annonces de production, effective.

Dans le domaine sportif, 2023 a également été un bon cru, en disciplines collectives ou en exploits individuels. L’équipe nationale féminine de football s’est distinguée au Mondial de ces dames, les U17 aussi. Soufiane Bekkali règne sans partage sur le 3.000 m steeple et Khadija Mardi boxe bien et frappe fort en remportant la médaille d’or aux Championnats du monde de boxe amateur féminins. Par ailleurs, le royaume emporte l’organisation de la CAN 2025 et celle du Mondial 2030, avec l’Espagne et le Portugal.

Et encore un succès pour les grands chantiers sociaux, comme la protection universelle ou encore les aides directes. Ces deux grands projets ont effectivement commencé, cahotant un peu, chaotiquement aussi, mais il faut bien un début et les débuts sont toujours incertains. On attend pour cette année les affinements et autres améliorations nécessaires… nécessaires certes mais surtout indispensables, au risque de voir tout cela finir en queue de poisson, ce qui serait dommageable pour la bonne humeur générale. Et ne pas oublier également le lancement effectif de la réforme du code de la famille, suite néanmoins à une relance royale un an après le discours s’y rapportant.

Mais… car il y a toujours le mais des revers ! La retentissante affaire des billets du Qatar a fait pshiiit mais la justice se rattrape et frappant fort, cette fin d’année, avec l’affaire du trafiquant dit Escobar l’Africain et l’arrestation de deux personnages centraux de la politique et du sport, en attendant leur jugement. Concernant l’éducation, les Marocains ont assisté, stupéfaits, à l’enterrement d’une réforme qui s’annonçait prometteuse avant de se conclure de façon calamiteuse. Des manifestations, des millions d’heures de cours perdues, élèves et parents désemparés, une confiance rompue, un ministre explosé par son propre gouvernement après avoir supervisé les travaux pour l’élaboration d’un modèle de développement, lui aussi oublié.

Il reste un événement qui intéresse tout le monde, puisqu’il s’agit de la poche des citoyens : les prix des carburants à la pompe. Dépassements divers, ententes coupables, inflation induite, soupçons de conflits d’intérêts… Le Conseil de la concurrence achève une saga de plusieurs années sur les ententes entre compagnies, mais l’achève dans une logique de « tout ça pour ça »…

Tout cela n’est pas bien grave, du moins pas aussi grave qu’un pays qui fonctionne avec un gouvernement atone qui adopte plus de décrets que de lois, qui ne communique que peu, puis de moins en moins, puis pas. Un parlement avec ses deux Chambres qui prennent l’allure de chambres d’enregistrement, sans relief, sans force, sans proposition et encore moins d’opposition. Une majorité qui s’annonçait à ses débuts prometteuse et conquérante et qui s’avère, avec le temps, calamiteuse et brinquebalante : le RNI et son chef, également chef du gouvernement, phagocyte tout et domine le reste, le PAM est en situation difficile et incertaine, avec un patron volontiers rigolard et disert, mais en réalité secret et manœuvrier, et un Istiqlal, un parti qui vit, en toute simplicité, dans l’illégalité, n’ayant pas tenu son congrès depuis… longtemps ! En effet, pendant que le secrétaire général gère l’eau, son parti prend l’eau avec un congrès sans cesse annoncé et toujours repoussé ; il est vrai qu'un grain de sable venant des dunes du sud empêche le bon fonctionnement de la machine.

Et ainsi va le Maroc, cahin-caha, certes loin du chaos mais slalomant entre les nombreux cahots… Son véritable problème se niche dans l’écart entre une politique royale ambitieuse qui marque des points, beaucoup de points à l’international, et une réalité gouvernementale déprimante. Le danger est que le royaume s’est volontairement et ambitieusement mis sous les projecteurs du monde ; il est donc urgent de redorer le blason de notre politique intérieure, pour plus d’efficacité, de proximité, d’audace et de présence, et aussi de voir notre justice s’atteler vaillamment à nettoyer nos écuries d’Augias qui, semble-t-il, en ont grand besoin.

Aziz Boucetta

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