(Billet 972) – Séjourné au Quai d’Orsay, érosion de la diplomatie et dérision dans le monde
« Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années », professait Corneille par la voix de Rodrigue dans Le Cid. La citation est d’une criante actualité dans le microcosme politique français, avec le plus jeune président, le plus jeune premier ministre, le plus jeune chef de la diplomatie depuis 1958. Mais la jeunesse n’est en effet pas le problème, c’est l’insouciance, l’indifférence, l’arrogance et un zeste de provocation qui le sont.
Pourquoi nous intéresser à la politique intérieure française ? Parce que la France est membre permanent du Conseil de sécurité dans un monde en pleine insécurité, parce que nous avons une relation économique étroite avec ce pays, parce qu’une communauté de 1,5 à 2 millions de Marocains expatriés ou binationaux vivent en France, parce que 45.000 étudiants marocains s’y trouvent également, parce que la question du Sahara trouve son origine en France, et son blocage aussi… et parce que les médias français nous font l’amitié de se passionner, à leur manière et selon leurs méthodes, au modeste pays qui est le nôtre, monarchie, politique et droits humains essentiellement.
La diplomatie française, donc, est confiée à. Stéphane Séjourné dont l’expérience politique se réduit à son actuelle fonction de député européen et à sa désignation à la tête du parti présidentiel Renaissance ; pas d’études ou diplômes connus, pas de biographie sur le site du parlement européen, contrairement aux autres eurodéputés. Le jeune Séjourné prendra place dans le fauteuil occupé par les Talleyrand, Tocqueville, Guizot, Delcassé (Ah, Delcassé et le Maroc…), Laval, Pinay, Schumann, Debré, Mendès France, Dumas, Védrine, ou encore Villepin, des grands noms de la politique française, malgré des fortunes personnelles diverses… M. Séjourné est en revanche un proche du président et de son nouveau premier ministre, un atout faible pour relever les défis posés à la diplomatie française. On a peine à imaginer un tel profil en discussions serrées avec Annalena Baerbock, David Cameron, Antony Blinken, Benyamin Netanyahou et Mahmoud Abbas, MBS, Wang Li, Serguei Lavrov, et d’autres… Déjà, les médias des grands pays occidentaux se montrent sceptiques face à ce casting, et le montrent dans leurs titres et leurs articles, tantôt interrogateurs, tantôt persifleurs.
Le nouveau et très inexpérimenté ministre des Affaires étrangères devra faire face à plusieurs enjeux spécifiques qui nécessitent bien des compétences, des talents et des connaissances :
1/ Deux conflits majeurs où la voix de la France est traditionnellement entendue mais qui, là, est inaudible et de moins en moins crédible, l’Ukraine et Gaza. Emmanuel Todd affirme que « la France n’existe pas car elle est alignée sur les Etats-Unis et l’OTAN », et dans ces deux conflits, de fait, cet alignement est de plus en plus marqué. M. Séjourné pourra-t-il briser cet étau ? Il est permis d’en douter.
2/ Une reconfiguration géopolitique radicale où les nations qui s’imposeront aujourd’hui seront celles qui pèseront dans les décennies à venir. A Emmanuel Macron qui a montré ses limites dans l’exercice géostratégique et Gabriel Attal, qui n’a encore exprimé aucune position intelligible sur la marche du monde, vient aujourd’hui s’ajouter ce qu’on peut bien appeler un grand novice dans un domaine qui requiert pourtant, et aujourd’hui plus que jamais, une grande expérience, une formation solide, et une parfaite maîtrise des dossiers internationaux, doublée d’un large carnet d’adresses des hommes et femmes de la diplomatie dans le monde.
3/ La restauration (improbable) de la place historique de la France en Afrique, désormais perdue. L’insouciance du président, l’arrogance de Jean-Yves Le Drian et l’incompétence de Catherine Colonna ont participé à bouter la France hors d’Afrique et ont échoué à remplacer la Françafrique par la France-Afrique. Or, comme disait Omar Bongo, « l'Afrique sans la France, c'est la voiture sans le chauffeur, et la France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant » ; l’Afrique s’est trouvée des chauffeurs, sur le continent et ailleurs, mais la France n’a toujours pas de carburant et Stéphane Séjourné aura toutes les peines du monde à devenir un pompiste de talent.
4/ La refonte du corps diplomatique, ou plutôt sa suppression, décidée par Emmanuel Macron, qui va avec une fronde, déclarée ou silencieuse, de la diplomatie française. Autrement dit, M. Séjourné devra diriger une diplomatie de moins en moins aguerrie, tout en affrontant l’ire de grands diplomates de plus en plus révoltés.
Pour la gestion de la relation de la France avec le Maroc, on ne peut pas encore se prononcer, sauf à conjecturer sur les positions passées du nouveau ministre, du temps où il n’était qu’un député parmi 700 autres, même avec le titre de chef de groupe, même avec sa propulsion à la tête d’un parti politique qui rappelle une armée mexicaine et une confrérie de copains. Dans sa relation avec Rabat, on attendra donc des éléments nouveaux…
Comment est perçue la France à l’étranger, s’interrogent les médias français ? Un élément de réponse vient du ministre Darmanin, dont ces mêmes médias expliquent le maintien par le fait qu’il soit apprécié de la police et des policiers ; la France serait-elle désormais devenue un Etat policier ? La question reste ouverte.
Et puis, en plus du parlementarisme rationalisé, qui est l’ensemble des dispositions définies par la Constitution de 1958 aux fins d’encadrer les pouvoirs du Parlement afin d’accroître les capacités d’action du Gouvernement, il y a cette curiosité de la pratique politique française, seule démocratie occidentale où le premier ministre désigné n’est pas tenu d’être investi par le parlement. La France, démocratie, elle qui ne cesse d’en parler ? La question, ici aussi, reste ouverte.
Tous ces éléments, combinés ou pris séparément, permettent de prédire une diplomatie française en souffrance pour imposer le pays sur le très complexe échiquier international. Le nombrilisme du président, son insouciance aggravée par un sentiment surfait de toute-puissance, et l’incapacité du nouveau chef de la diplomatie, qui doit toute sa carrière à son chef, à s’opposer à lui et à lui imposer les positions du Quai d’Orsay, présentent le risque de faire taire à jamais, ou du moins pour longtemps, très longtemps, la voix de la France. La valeur n’attend donc pas le nombre des années, mais parfois, si.
Aziz Boucetta
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