(Billet 974) – L’Etat RNI
Du temps où il tentait d’exister à l’ombre du PJD, le RNI criait à qui voulait l’entendre que le Maroc courrait le danger d’être confronté à un Etat PJD ; ils ont tellement dit cela, le RNI et ses chefs qu’une fois en situation, ils sont en train de faire ce qu’ils reprochaient au PJD. Un Etat RNI se met en place, au vu et au su de tous, et à l’indifférence coupable de tous.
Oh certes, l’Etat marocain, l’Etat tout court, est assez puissant pour ne pas se laisser submerger par un quelconque Etat noyauté et peuplé par des membres ou sympathisants de partis. Mais cela est valable pour un parti à idéologie, comme l’Istiqlal, le PJD, l’USFP, s’ils avaient encore été capables de faire cela. Mais ils ne le sont plus. Le danger avec le RNI est qu’il n’y a pas de membre RNI, au sens où l’on entend communément être membre d’un parti : pas d’idéologie autre que l’intérêt, pas d’ancrage autre que l’opportunisme et cela est valable pour une partie considérable des « cadres » du RNI, surtout depuis quelques années, encore plus depuis la période de la dernière campagne électorale.
Et de fait, depuis ces dernières années, petit à petit, progressivement, comme la nuit qui tombe, le RNI s’installe dans à peu près tous les organes et postes qui comptent. Prenons les territoires, par exemple… Au lendemain des élections, on avait vendu l’idée que la répartition des régions sur les partis était égalitaire : soit quatre régions pour chacun des partis formant la majorité, cela fait douze, le compte y est. Mais à y regarder de plus près, le RNI s’est arrogé les présidences de Souss Massa, Tanger-Tétouan-al Hoceima, Draâ Tafilalet et Guelmim Oued Noun, et des mairies des grandes villes des régions qu’il ne préside pas ; ainsi de Casablanca, Mohammedia, Rabat, Fès, Meknès, Oujda, dirigées par des maires RNI. Que peut valoir une présidence de région quand la ville phare de cette région est menée par un(e) RNIste, forcément supporté(e) et soutenu(e) par l’état-major du RNI, donc de l’Etat élu ? Pas grand-chose. Les territoires sont donc RNI, à l’exception des provinces sahariennes et de Marrakech, où le RNI n’a historiquement jamais été présent.
Sur le plan des affaires, de l’investissement et de l’entreprise, les choses sont encore plus marquées. A la CGEM, par exemple, et depuis la présidence éphémère de Salaheddine Mezouar (2018-2019), lequel avait été plus ou moins soutenu par le RNI, ce parti et ses chefs sont en bonne position d’influence, nichés dans les lieux de pouvoir de la Confédération. Souvenons-nous de ce rapide et très désordonné rétropédalage de l’actuel président Chakib Alj, après son audace inouïe de critiquer le gouvernement et son recadrage tout aussi virulent par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch. Jamais, de mémoire de patron, un président de la CGEM ne s’était incliné avec autant de dévotion face à un froncement de sourcil du gouvernement. Et le récent transfert des CRI de la tutelle de l’Intérieur à celle de la présidence du gouvernement confirme la mainmise du gouvernement, donc du RNI, sur l’investissement. Et qui est le ministre de l’investissement, et même de la convergence et de l’évaluation des politiques publiqes, c’est-à-dire le véritable numéro deux du gouvernement hors régaliens ? Mohcine Jazouli, fraîchement teinté en bleu mais CGEM depuis longtemps, plus autres qualités le liant à M. Akhannouch et au RNI.
L’agriculture, depuis 15 ans aujourd’hui, est gérée par l’actuel chef du gouvernement, ancien ministre de l’Agriculteur qui, à son départ pour la présidence du gouvernement, a confié la fonction à son secrétaire général depuis 2013, Mohamed Sadiki, lui aussi RNI, du moins officiellement. Le Plan Maroc Vert d’hier, c’est eux, les ennuis hydriques du Maroc aujourd’hui, c’est à eux qu’il faut demander des explications et des éléments de compréhension. Quant à la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMADER), elle est présidée par Rachid Benali, qui vient d’être nommé par le chef du gouvernement comme membre du Conseil de la concurrence.
La RNIsation des organes de l’Etat se poursuit aussi par le passage des Centres régionaux d’investissement, les CRI, de la tutelle du ministère de l’Intérieur à la présidence du gouvernement, laquelle la remet au ministère de l’investissement, dirigé par le déjà cité Mohsine Jazouli. En apparence, la chose semble logique car l’investissement doit relever de… l’investissement. Mais confier les CRI à l’Intérieur faisait sens si on considère que ce ministère, dans sa version vintage, n’existe plus, que la territorialité est aujourd’hui gérée par les walis et gouverneurs managers, et que la coordination des services de l’Etat aussi. Il n’est pas tout à fait certain que la tutelle du ministère de Mohcine Jazouli soit plus efficace et plus efficiente que celle d’Abdelouafi Laftit.
La maire de Casablanca, très proche du chef du gouvernement (autrement il ne lui aurait pas confié Casablanca et le ministère de la Santé, qu’elle devait quitter quelques jours après sa nomination), avait soutenu l’élection de son époux au bureau du conseil de la ville, et il y fut élu, avant de renoncer et de se contenter d’un arrondissement. Les rumeurs de népotisme et de conflits d’intérêt étaient devenues si fortes que le couple, présidente et vice-président, avaient dû reculer.
Enfin – liste non exhaustive –, le comportement du chef du gouvernement consistant à voler la vedette à ses ministres tel que cela a été longuement décrit dans le magazine TelQuel (n°1065 du 17 novembre 2023) montre l’ampleur de la domination du RNI sur la majorité. En off, les ministres non RNI se plaignent de cette situation, et attendent un revers de fortune pour régler leurs comptes. Istiqlal et PAM se sentent désormais comme des figurants dans un gouvernement et une majorité qui œuvrent à la gloire du RNI, lequel nourrit de grandes ambitions pour 2026.
« Le PJD a eu deux mandats, pourquoi pas nous ? », disent volontiers certains hauts cadres de la colombe discrète, muée en faucon dominateur. Lors du débat national qui avait lieu sur la nouvelle définition du quotient électoral, pour les élections de 2021, l’actuel président de la Chambre des représentants Rachid Talbi Alami expliquait et justifiait cette méthode de calcul par la volonté d’empêcher la domination d’un parti sur les autres, cette domination pouvant être idéologique, communautaire, financière ou autre.
A cette époque-là, il s’agissait du PJD… aujourd’hui, c’est le RNI qui est en fonction, sous les feux de la rampe, et qui domine le reste, bâtissant patiemment mais résolument ce qu’on peut appeler un Etat RNI, résolument clanique et profondément taiseux. Jusqu’à quand ?
Aziz Boucetta
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