(Billet 979) – Maghreb/Sahel, la Mauritanie entre le marteau et l'enclume

(Billet 979) – Maghreb/Sahel, la Mauritanie entre le marteau et l'enclume

Un bras de fer puissant mais à bas bruit se joue actuellement dans la région nord-ouest de l’Afrique. En fond de toile, la rivalité entre le Maroc et l’Algérie et, en coulisses, le jeu, le rôle et le jeu de rôles de puissances étrangères, essentiellement France et Etats-Unis qui, comme à leur habitude, avancent avec des œillères datant du siècle dernier. Les enjeux de ce bras de fer sont commerciaux, économiques, et sécuritaires.

A quoi joue la Mauritanie ? A exister, purement et simplement, dans un environnement hostile. Cet immense pays de plus d’un million de km² pour 4,5 millions d’habitants est amarré par le sud à un attelage hautement instable, formé des deux grands pays de la région que sont l’Algérie et le Maroc et qui, aujourd’hui et quoi qu’on en dise, se trouvent engagés dans un conflit armé de basse intensité par Polisario interposé. Le conflit peut dégénérer d’un instant à l’autre, suite à une erreur de jugement ou d’évaluation d’un côté comme de l’autre, dans un monde indifférent car occupé et bousculé par les deux conflits majeurs en Europe et au Moyen-Orient.

La Mauritanie, qui se voit en future puissance énergétique avec les gisements récemment découverts et exploités, sans compter ceux à venir, devrait avoir selon le FMI une croissance de 5,1% en 2024 et 14,3% en 2025 ! Certains analystes commencent d’ores et déjà à la comparer, en matière de potentiel, aux émirats du Golfe. Cela procure un sentiment d’assurance et de puissance aux dirigeants mauritaniens qui, en dépit de cela, multiplient les accords et les partenariats pour se défaire de la réalité hautement instable et déstabilisante formée par la rivalité entre Rabat et Alger.

Ainsi, en 2020 et après, la Mauritanie a reçu un don de 2 milliards de $ des Emirats Arabes Unis (le tiers de son PIB), en plus d’autres faveurs (avions de transport, produits médicaux, vaccins anti-Covid, antilopes…). Abu Dhabi, déjà installé dans la Corne de l’Afrique, cherche une extension et une implantation sur la façade africaine atlantique, comme cela s’est encore confirmé avec les accords signés entre les EAU et le Maroc fin 2023. En outre, depuis 2021, la Mauritanie s’est rapprochée à travers des accords militaires de la Russie et de l’OTAN, montrant ainsi une singulière habileté du président Mohamed Ould Ghazouani à jouer sur plusieurs fronts et à plusieurs vitesses, tellement que sa politique internationale, si elle existe, devient illisible et ses intentions, si elles sont réelles, demeurent opaques.

Le chef de l’Etat mauritanien semble n’avoir de politique régionale qu’une forme de navigation à vue, dans le but de brouiller les cartes et d’embrouiller ses interlocuteurs. Inquiet de la situation délétère entre Rabat et Alger et de l’instabilité au Sahel avec la volatilité des alliances dans cette région depuis le retrait précipité et désordonné de la France, Nouakchott adopte la politique du chaud et du froid à l’égard de ses deux grands voisins.

Et alors que le Maroc s’investit résolument dans son hinterland sahélien, avec cette grande idée d’une initiative pour le désenclavement des pays du Sahel, la Mauritanie semble bouder la réunion le 23 décembre à Rabat entre les chefs des diplomaties marocaine, malienne, tchadienne, burkinabè et nigérienne, malgré les explications embarrassées de Nasser Bourita sur cette absence. L’opacité, doublée d’agressivité, mauritanienne, se confirme début janvier avec l’application de taxes douanières importantes pour les produits marocains en route vers la Mauritanie. Nouakchott se tient donc à l’écart de la proposition marocaine pour le Sahel et « se ferme » aux produits marocains, de fait empêchés d’accéder aux pays limitrophes, comme le Sénégal ou encore le Mali. On peut supposer la main d’Alger dans ces actions inamicales de Nouakchott envers Rabat, et on peut également s'interroger sur le rôle de la France dans cette attitude algérienne, les deux pays Algérie et France se rejoignant dans les relations difficiles entretenues avec le Mali et par effet mécanique avec les autres Etats de l'Alliances des Etats du Sahel, Burkina Faso et Niger.

Cette semaine, on assiste à un autre activisme mauritanien, aussi illisible et tout aussi préoccupant, dans ses relations avec ses deux voisins septentrionaux. Alors que le président du parlement mauritanien, un ancien sécuritaire, est en visite à Alger, le ministre mauritanien des Affaires étrangères se trouvait à Rabat, quelques jours après avoir été reçu à Alger par Abdelmajid Tebboune qui, grand seigneur mais piètre stratège, a suggéré une zone de libre-échange entre son pays et la Mauritanie. Un vœu pieux mais une manœuvre sournoise qui fera les affaires de Nouakchott dont le seul objectif géostratégique dans sa région est d’y maintenir l’opacité et la confusion entre ses rivaux, la concernant.

Il n’est qu’à analyser les déclarations des chefs de la diplomatie marocaine et mauritanienne à Rabat pour prendre la mesure de l’inconstance et l’inconsistance des relations entre les deux pays. Un long plaidoyer marocain, louangeur, personnalisé et insistant, auquel répond un propos laconique, presque sec, du Mauritanien. Résultat : Nouakchott œuvre à ralentir l’initiative marocaine de désenclavement des pays du Sahel, en contradiction avec les termes de droit de la mer selon la Convention de Montego Bay (Art. 69, 70 et 87).

Mais, ce faisant, la Mauritanie, outre le fait de contrevenir à l’esprit et à la lettre cette dernière Convention, se place en situation quasi-conflictuelle avec le Maroc et les quatre Etats du Sahel, empêchant la libre circulation commerciale des produits du premier et entravant le désenclavement des seconds. Dans son entreprise, Nouakchott est soutenue par l’Algérie, avec la connivence supposée mais silencieuse de la France et des Etats-Unis qui maintiennent en agissant ainsi, ou au moins ne n’intervenant pas pour rapprocher les points de vue, la vieille conflictualité dans cette région. Il serait utile à ce propos de convoquer le souvenir de la décennie 60 et les desseins algéro-mauritaniens, soutenus par l’Espagne et dans une moindre mesure la France, de cerner le Maroc qui, dix années durant, avait refusé de reconnaître l’indépendance de la Mauritanie. Aujourd’hui, l’objectif n’est plus le même mais la méfiance éternelle de Nouakchott à l’égard de Rabat est à considérer.

La solution ne saurait donc être que multilatérale, mais elle doit s’appuyer sur une réelle volonté des protagonistes maghrébins, sahéliens et occidentaux. Dans l’attente, le Maroc se trouve lui-même enclavé et isolé, privé de sa profondeur africaine dont il a fait la priorité de sa nouvelle doctrine diplomatique. La situation est donc potentiellement explosive car le Maroc dispose, aussi, de plusieurs atouts, économiques, infrastructurels, diplomatiques et, bien évidemment, sécuritaires et militaires.

Aziz Boucetta

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