(Billet 987) – Les médias occidentaux, un « journalisme de meute »

(Billet 987) – Les médias occidentaux, un « journalisme de meute »

Cela fait maintenant quatre mois que la guerre a éclaté et que les massacres se suivent et se ressemblent dans la Bande de Gaza, suite à l’attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas en Israël. Depuis, en Europe et aux Etats-Unis, c’est la même expression, érigée en élément de langage incontournable, définitif et surtout obligatoire, et qui autorise tout : « le droit d’Israël à se défendre ». Oui, de se défendre, mais pas de massacrer, de bombarder au phosphore, de déporter, de tout détruire, d’affamer, d’humilier… C’est cette distinction que la presse occidentale, avec la française en pointe, refuse de considérer.

« En quelques semaines, la France a fait l’expérience d’un journalisme de meute qui déteste autant le débat contradictoire que la liberté d’expression », assènent Serge Halimi et Pierre Rimbert dans un article du Monde Diplomatique (février 2024), intitulé « le journalisme français, un danger public » et qui a abondamment circulé au Maroc, et certainement ailleurs. Deux journalistes que l’on ne retrouve, bien évidemment, jamais sur les plateaux télé français où les Darius Rochebin ou Sonia Mabrouk se suffisent très bien et se contentent amplement de Bernard-Henri Levy, Meyer Habib ou encore de Gilles-William Goldnadel et du colonel Rafowicz de Tsahal.

Ce « journalisme de meute » n’est pas récent, ni nouveau. Il remonte à la genèse même du journalisme occidental qui a toujours défendu les prises de position et les idéologies dominantes de son camp, mais cela n’était alors pas aussi visible qu’aujourd’hui car cette presse écrasait toute velléité de résistance et toute volonté de penser autrement. Et c’est depuis 1945, avec l’émergence de l’ordre nouveau, appelé ordre international, fondé sur le droit international des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, que ce journalisme exclusif a véritablement connu son essor, puis s’est lentement développé sur les décombres d’une presse alternative combattue, menacée, ostracisée, marginalisée, et alors même qu’il n’y avait pour ainsi dire pas de médias efficaces et influents dans ce qu’on appelait alors le Tiers-Monde.

Avec l’avènement de ce siècle, et la crise économique aidant, le grand capital a fait son entrée dans le secteur, plaçant ses créatures aux postes de direction, imposant une ligne éditoriale identique mais différemment déclinée. Or, ce grand capital étant aussi en étroite collusion avec le pouvoir politique, c’est la jonction dénoncée par Serge Halimi entre journalisme et politique qui s’effectue, puis s’impose, puis devient une seconde nature, puis la nature unique du journalisme occidental.

Dans ce monde changeant où l’Histoire accélère, où les petits grandissent, où les alliances anciennes se défont et que de nouvelles émergent et s’imposent, ce journalisme devient un journalisme de catégorisation entre d’une part les bons et les gentils, qui épousent la doxa commune, concertée et imposée, et les autres, ceux qu’il faut combattre, qui représentent un danger pour les sociétés occidentales, qui les menacent et qui sont désignés comme les adversaires à combattre, les ennemis à battre. Et dans ces cases, on place indistinctement les Erdogan, Jinping, Poutine, les Iraniens, les riches et de plus en plus influents Arabes du Golfe, certains chefs d’Etat africains qui osent s’autonomiser…

Cela s’est vu dans l’affaire ukrainienne. Le Poutine ci-devant ami de l’Occident a été réduit à un vulgaire potentat, attaquant le monde libre et s’attaquant à ses valeurs. Rien n’est dit sur l’hostilité de l’OTAN à l’égard de la Russie trente années durant, pas plus que ne furent vraiment commentées les confidences de François Hollande et Angela Merkel sur la duperie que furent les Accords de Minsk de 2015. Durant l’été 2023, après le coup de force de feu Prigogine contre Moscou, les télévisions françaises ont fait fort, très fort ; sur un plateau LCI, le « politologue » Patrick Martin Genier a appelé tranquillement, en toute impunité et sans même être repris par le présentateur à « tuer Poutine » !

Et puisque nous sommes au Maroc, que l’on se souvienne des attaques en règle, « en meute », contre le royaume, suite à l’affaire Pegasus ou au lendemain du séisme d’al Haouz, quand tous les médias mainstream français, tous, criaient à l’insolence de ce pays qu’ils accusent, sans preuves, d’avoir eu l’outrecuidance d’espionner des communications de responsables ou qui d’avoir eu l’extrême désobligeance voire la goujaterie de refuser l’aide octroyée d’une France bousculée en interne et déboussolée à l’international. Il n’y avait encore que le public cible qui croyait à toutes ces attaques lesquelles n’avaient plus rien de médiatique, et aussi les inconditionnels locaux de « la presse française et occidentale, libre et indépendante ». Depuis, ces derniers, qui se reconnaîtront, peut-être, auront commencé à comprendre…

Le sentiment de supériorité des Occidentaux vient de notre conviction d’infériorité, et leur force vient de notre faiblesse, leur réflexe colonial prospère sur notre complexe de colonisés. Les médias occidentaux reproduisent encore et toujours cette ancienne domination des Blancs sur le reste de l’humanité, comme au 19ème siècle, comme au 20ème siècle, à la différence qu’aujourd’hui, les sociétés occidentales, « blanches », connaissent un double phénomène ; la mixité démographique, puis sociale, qui relativise leur caractère « blanc » et donc érode leur cohésion par l’émergence d’un discours alternatif, et le profond et absolu sentiment de culpabilité suite au silence face à l’Holocauste et donc une contrition sur les siècles de pogrom qui font d’Israël la référence, la locomotive morale.

Le « journalisme de meute » maintient donc la solidarité de bloc, celle de la « race blanche », civilisatrice car civilisée, civilisée car judéo-chrétienne… Souvenons-nous et scrutons cette solidarité occidentale faite de mutisme, de bloc, de « caste humaine », de complicité pour la Belgique au Congo, pour la France en Afrique occidentale (de la traite négrière à la colonisation), pour les Etats-Unis et leur inutiles bombes à Hiroshima/Nagasaki ou au Vietnam, pour le Royaume-Uni aux Malouines… ou, bien plus anciennement, pour l’Espagne en Amérique latine avec l’encomienda et Hernan Cortès, malgré quelques timides critiques plutôt économiques… Nicolas Sarkozy a dénoncé la sauvagerie du continent européen, et donc de son émanation américaine, et Dominique de Villepin a fustigé la compromission des médias pour justifier cette sauvagerie, en s’appuyant sur l’arme décisive et fatale des droits de l’Homme. Mais personne ne les écoute ; pire, on les fustige et ostracise.

Aujourd’hui, l’argument droitdelhommiste qui a prospéré de longues décennies a volé en éclats, détruit, démoli, écrasé et enseveli par le grand allié occidental, son enfant Israël. Et même la solidarité occidentale n’y résiste plus. Désormais, leur solidarité doit avoir en miroir celle des autres. Cela se voit dans le Sud Global, mais il est trop global : les arabes doivent soutenir les arabes, les africains porter les africains, les régionaux avec ceux de leur région, dans une grande symbiose humaine, une unique société humaine, universelle, avec ses diverses et différentes déclinaisons, sans plus jamais accepter une quelconque supériorité d’une quelconque civilisation ou culture.

Mais la meute le comprendra-t-elle ? Ses commanditaires la laisseront-elle réfléchir par elle-même et sans l’épée de Damoclès du limogeage et du chômage ? Rien n’est moins sûr.

Aziz Boucetta

 

 

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