(Billet 1033) – A quoi servent les MRE ?
A envoyer de l’argent et à doper le tourisme. Hors cela, on voit mal à quoi notre communauté sert le Maroc ou sert au Maroc. Ce n’est pas par manque de volonté de nos compatriotes expatriés, mais de notre Etat, de notre gouvernement. Et pourtant, le roi a parlé, à plus d’une reprise, à ce sujet, et des organismes comme le CESE apportent régulièrement leur avis sur la question. Mais rien. Etrange.
Prolégomènes. En 1984, les Marocains, dans leur votation si particulière en ces temps-là, avaient élu cinq députés du monde. C’était la première et dernière expérience, pour moult raisons et autant de mauvaise foi (« ils n’ont pas de contact avec leurs électeurs », « ils transhument »…). A la fin de son mandat, c’est-à-dire au début du siècle, Abderrahmane el Youssoufi avait enfoncé le dernier clou dans le cercueil du vote de ceux qu’on désignait à l’époque par TME ou RME ; « il n’y aura pas de vote des RME ! », avait-il asséné sur un ton définitif. En 2005, le roi Mohammed VI avait explicitement et solennellement appelé au droit de vote de cette communauté ; puis la constitution de 2011 l’avait encore plus clairement disposé, en son article 17 ; et, en 2022, le roi a encore instruit le gouvernement de s’activer pour nos Marocains du monde (MdM).
Et que pensez-vous qu’il arriva ? Ce fut le droit qui creva. En 2022, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch a expliqué que ce droit de vote nécessite de grandes capacités logistiques et organisationnelles et que pour y voir clair, il faudrait mener une « vaste étude ». Depuis, rien, absolument rien… pas d’études, même pas par McKinsey. C’est dire qu’il y a une volonté autre que celles annoncées.
En chiffres, la communauté marocaine à l’étranger, ce sont plus de 5 millions de personnes immatriculées dans les consulats, ce sont 5 ou 6 millions d’entrées comptabilisées dans le secteur du tourisme, et c’est aussi 115 milliards de DH en transferts annuels, ou 8% du PIB, un volume doublé en moins de 10 ans. Les MdM, ce sont des médecins, des techniciens, des informaticiens, des académiciens, des juristes et des artistes, des entrepreneurs et des travailleurs, des financiers et des policiers, des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, généralement instruits voire érudits. Une véritable ressource naturelle que bien des pays dans le monde nous envient, et dont certains même ont franchi le pas (et le Détroit) pour venir au Maroc faire leurs emplettes, comme la France, ou ont assoupli leurs conditions d’entrée sur leurs territoires, comme le Canada. Ces pays et d’autres encore ont compris l’importance intellectuelle, technique et pratique de cette communauté, mais le Maroc hésite encore.
Les MRE, c’est comme la façade atlantique, on annonce, on se félicite, on triomphe, et on oublie. Le roi en parle en stratégie mais ce n’est pas à lui de faire le travail tactique et technique ; la société en parle aussi mais elle n’a pas les moyens de faire le job. Entre les deux, la classe politique tergiverse et hésite, bataille et se chamaille et au final ne fait rien, comme à son habitude.
Mais posons-nous la question, pourquoi ne veulent-‘’ils’’ donc pas associer les MdM aux opérations électorales nationales ? Et bien simplement parce que ces millions d’électeurs risquent de renverser les équilibres électoraux du pays. Comme chacun sait, nous sommes plus de 25 millions de Marocains en âge de voter, mais il faut préalablement s’inscrire sur les listes électorales, ce qui ramène l’effectif à quelques 15 millions de personnes, dont la moitié environ se dirigent effectivement vers les bureaux de vote le jour dit. En 2021, par une alchimie bleue, ce sont près de 2 millions de personnes en plus qui ont voté, portant l’effectif à quelques 8 millions de personnes. Et en 2021 comme en 2016, le parti ayant décroché la pole position, celle qui donne la présidence du gouvernement, a obtenu entre 1,6 et 2 millions de voix.
Imaginons maintenant que nos MdM s’organisent pour le vote et que la moitié d’entre eux, partout dans le monde, aille effectivement voter, cela représenterait entre le quart et le tiers du corps électoral national. Cela déjouerait tous les pronostics, bouleverserait les traditionnels équilibres entre partis politiques et créerait bien des surprises. Imaginons aussi que, nos MdM soient emmenés par la tendance mondiale actuelle de création de nouvelles structures et qu’une formation politique soit créée, légalement ou virtuellement ; elle pourrait entrer en force au parlement, sauf à fixer un quota pour les MdM. Et imaginons les profils des futurs élus, imprégnés par les logiques politiques de leurs pays de résidence ou simplement animés par un désir réel et sérieux de faire leur travail d’élus parlementaires contrôlant l’action gouvernementale et la problématique gouvernance. Imaginons…
Il n’est pas besoin d’avoir lu Gramsci ou Bernays pour comprendre le « risque » que cela occasionnerait à notre système politique élu, plongé dans sa torpeur coutumière, installé dans son fameux sens du compromis et lourdement habitué à son réflexe de « regarder ailleurs » et de « ne pas trop insister ». Même en instituant un quota de 10 ou 20 députés MdM (alors que cette population représente 15% de la population totale et environ 10% du PIB), ils seront assez nombreux pour bousculer les habitudes politiques et faire avancer notre démocratie toujours en transition.
Et c’est pour ces mêmes raisons que le droit de vote pour les Marocains installés à l’étranger n’est pas pour demain. Et contrairement à ce que veut bien nous raconter Aziz Akhannouch, il ne s’agit ni de logistique ni d’organisation, et encore moins de « grande étude », mais d’une volonté politique. Une volonté politique gouvernementale qui n’a pas encore donné suite à l’instruction royale de 2022 sur la nécessité de « repenser » notre communauté dans le monde.
Dans l’attente, et en dehors de l’argent, la « 13ème région » continuera d’être la 5ème colonne du carrosse institutionnel du royaume, et un peu aussi une machine à cash.
Aziz Boucetta
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